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Coupe du monde 2018 : Poutine veut gagner le match de l’image

Un mois de football pour redorer l’image d’un pays. Le coup d’envoi de la 21eédition de la Coupe du monde de football sera officiellement donné jeudi 14 juin au stade Loujniki de Moscou. En travaux pendant quatre ans, la plus grande enceinte sportive du pays, autrefois nommée stade central Lénine, accueillera 80 000 spectateurs pour la cérémonie d’ouverture, plus brève qu’à l’habitude – 30 minutes environ – et consistant en un concert plutôt qu’un spectacle chorégraphié. Elle sera suivie du match entre la Russie et l’Arabie saoudite, en présence de Vladimir Poutine et du prince héritier Mohammed Ben Salman – l’un des rares dirigeants étrangers à faire le déplacement.

Tout est prêt, ou presque. Après un dernier petit coup de pinceau, les onze villes hôtes s’apprêtent à recevoir pendant un mois, jusqu’au 15 juillet, quelque 600 000 visiteurs étrangers, selon les organisateurs, et jusqu’à 1 million selon l’Agence fédérale de tourisme – auxquels s’ajoutent 700 000 supporteurs russes –, sans compter 5 000 journalistes accrédités. Après les Jeux olympiques (JO) de Sotchi, en 2014, le Mondial va devenir le plus grand tournoi jamais organisé en Russie.

Rien ne devra perturber l’événement. Le chef du Kremlin en a fait un objectif national : montrer au monde entier le meilleur visage du pays. Dans une vidéo diffusée le 8 juin, il a souhaité la « bienvenue aux supporteurs et aux meilleures équipes de football du monde » pour « cet événement international historique »« J’espère que vous vivrez une expérience inoubliable, a-t-il ajouté, pas seulement en suivant les matchs de votre équipe préférée (…), mais aussi en découvrant la Russie. »

Des travaux gigantesques ont été réalisés bien en amont à Moscou. Les trottoirs ont été refaits. Le métro s’est mis à l’anglais. Des terminaux d’aéroports flambant neufs ont surgi de terre, comme à Saransk. A Rostov-sur-le-Don, des silhouettes joyeuses levant les bras au ciel ou brandissant des écharpes ont été dessinées sur les fenêtres de la principale artère. Un « village Potemkine 2.0 », a ironisé un internaute, en référence aux façades trompeuses parsemées sur le chemin de Catherine II en Crimée, au XVIIIe.

Les supporteurs le jurent, il n’y aura pas de débordement. « Ce sont des patriotes », affirme Alexandre Chpryguine, chef des ultras, lui-même banni des stades. « Pour le peuple russe, c’est la dernière chance de prouver que nous ne sommes pas si mauvais », souligne avec emphase Robert Ustian, coordinateur d’une association contre le racisme liée au club moscovite CSKA. Une hotline multilingue a été ouverte à l’intention des fans qui pourront se déplacergratuitement à travers le pays grâce à leur carte d’identité spéciale.

Mesures de sécurité draconiennes

L’enjeu est surtout politique. Pour Vladimir Poutine, au pouvoir depuis dix-huit ans, réélu en mars pour un nouveau mandat jusqu’en 2024, le premier Mondial organisé à l’est de l’Europe constitue un test majeur. Faute de pouvoir rêver d’un trophée, avec une équipe nationale, la Sbornaïa, jugée trop faible, le chef du Kremlin mise surtout sur un succès de prestige pour redresser l’image de son pouvoir, très abîmé après l’annexion de la Crimée en 2014, et le conflit dans l’est de l’Ukraine.

Depuis lors, les relations avec l’Occident n’ont cessé de se dégrader avec les accusations d’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine, en 2016, et, plus récemment, celles portant sur l’empoisonnement d’un ex-agent double, Sergueï Skripal, et de sa fille, au Royaume-Uni. Cette dernière affaire a donné lieu au plus vaste mouvement d’expulsions de diplomates russes d’Europe et d’outre-Atlantique. En représailles, Londres a prévenu : aucun membre de la famille royale ou du gouvernement ne fera le déplacement en Russie.

En 2014, les fastueux JO de Sotchi, sur lesquels comptait Vladimir Poutine pour redorer son blason et démontrer la puissance de la Russie, avaient été en partie gâchés par les événements d’Ukraine. Cette fois, il n’hésite pas à prendre les devants en proférant des menaces.

Interrogé le 7 juin, lors d’une émission en direct sur les « risques » d’une offensive de l’armée ukrainienne dans la région du Donbass, pendant la Coupe du monde, le président russe a vivement répondu : « J’espère qu’il n’y aura pas de telles provocations, mais, si c’était le cas, cela aurait de très graves conséquences sur l’Etat ukrainien en général. » A la différence des JO de 2014, il n’a, jusqu’à présent, gracié personne. Le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, condamné à vingt ans de colonie pénitentiaire, mène pourtant, depuis le 14 mai, une grève de la faim qui inquiète les défenseurs des droits de l’homme.

Partout, les mesures de sécurité seront draconiennes. Le Mondial a, certes, fait plusieurs fois l’objet de menaces de la part de l’organisation Etat islamique (EI). Mais la vigilance va au-delà des risques terroristes. Même Ismaïlovo, le marché de plein air très prisé des touristes à Moscou pour ses souvenirs, devra êtrefermé durant la compétition. Les mécontents n’ont pas voix au chapitre. Le FSB, les services de sécurité russes héritiers du KGB, y veille.

Les étudiants qui protestaient contre l’implantation de la principale fan-zone, non loin du stade Loujniki, de l’autre côté de la Moskova, au pied de l’immense bâtiment stalinien qui abrite la principale université de la capitale russe (MGU), en savent quelque chose. Trois d’entre eux ont été interpellés, puis relâchés, après douze heures d’interrogatoire. Pour un graffiti à la peinture rouge « Non à la fan-zone », Dmitri Peteline a échappé in extremis à des poursuites pénales.

Destinée à accueillir 40 000 supporteurs, sur 36 000 m², la fan-zone, avec son écran géant, se situe dans un parc historique, l’un des poumons verts de Moscou, Vorobiovy Gory (« le mont des moineaux »). Une pétition signée par 14 000 personnes pour l’éloigner n’a rien donné. Aux étudiants qui passent des examens, il a simplement été conseillé de fermer les fenêtres.

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