GESTOCI : Les dessous d’un incendie-Un trafic de carburant qui coûte des milliards à l’Etat
GESTOCI : Les dessous d’un incendie-Un trafic de carburant qui coûte des milliards à l’Etat
Le 19 avril 2018, un incendie, subitement déclenché dans le parking dit de l’hinterland de la Gestoci (Société de Gestion des Stocks Pétroliers de Côte d’Ivoire), a consumé 17 camions. Mais l’intervention prompte des services de la Gestoci, des sapeurs-pompiers, a permis d’éviter à la Côte d’Ivoire, une catastrophe.
Trois mois plus tard, « L’Eléphant » est aujourd’hui, en mesure de révéler les dessous de cet incendie.
Si l’incendie du 19 avril à la Gestoci a été rapidement circonscrit et n’a pas eu de conséquences graves, en dehors des 17 camions partis en fumée, la cause profonde, un trafic de carburant, a, depuis des années, coûté des milliards aux caisses de l’Etat.
Un parking de 80 camions qui donne des idées
En raison de fortes commandes en produits pétroliers en provenance du Burkina Faso et du Mali essentiellement-entre 700 millions et un milliard de litres par an-la Gestoci a dû se doter d’un parking gigantesque pouvant recevoir jusqu’à 100 camions à la fois. Ce parking est appelé, le « parking de l’hinterland », en raison de ce que n’y entrent essentiellement que des camions en provenance du Burkina Faso et du Mali.
Placé sous la surveillance du service de sécurité de la Gestoci, ce parking, derrière les camions qui y stationnaient pendant des jours, servait, depuis plusieurs années, à un juteux trafic au détriment des caisses de l’Etat de Côte d’Ivoire.
Au loin, le bonheur
Combien de milliards, des distributeurs véreux de produits pétroliers, se sont faits depuis la mise en place, par l’Etat ivoirien, du système de péréquation des produits pétroliers, à travers l’uniformisation des prix à la pompe sur toute l’étendue du territoire national ? Nul ne peut répondre avec exactitude, à cette question. Une seule certitude, les montants sucrés au détriment de l’Etat se chiffrent en dizaines de milliards de Fcfa.
Le mécanisme de fraude est à la fois simple et monstrueux. Une société de distribution de produits pétroliers charge des dizaines de camions, depuis la Gestoci pour une destination située à l’intérieur du pays et de préférence, la plus éloignée possible, de la ville d’Abidjan. L’Etat obligeant les distributeurs à pratiquer le même prix tant à Abidjan que dans les villes de l’intérieur du pays, il supporte donc le prix du transport.
Ainsi, le prix du litre transporté est d’autant plus élevé que la distance parcourue est longue. Pour des villes comme San Pedro et au-delà, dans les villes du nord du pays, les prix du litre transporté oscillent entre 50 et 58 Fcfa, voire plus. Résultat, quand un camion livre 10000 litres d’essence raffiné à San Pedro, l’Etat, via la direction des hydrocarbures, lui reverse la somme de 580 mille Fcfa.
A Abidjan, le prix du litre d’essence, de gasoil ou de pétrole transporté est de 5 Fcfa, une misère. Plus on va loin, plus on gagne donc. Et des membres du GPP (Groupement Professionnel de l’Industrie du Pétrole), au fil des années, ont fini par mettre en place un système intelligent de fraude sur le transport qui leur permet de s’enrichir sans bouger d’Abidjan.
Un incendie au bout de la cupidité
Le 19 avril 2018, la Gestoci charge 17 camions dont plus d’une douzaine sont liés à la société « Petro-Ivoire », laquelle leur a délivré des bons d’enlèvement auprès de la Gestoci. La plupart des camions ont pour destination présumée, Neka (San Pedro, 6000 litres de pétrole), Tehini (6000 litres de pétrole), Doropo (5000 litres de pétrole). Pourquoi acheter de si fortes quantités de pétrole ? C’est que le trafic, pour être doublement juteux, ne peut se faire qu’avec du pétrole, un produit faiblement demandé.
L’un des camions, chargé de 6000 litres de pétrole achetés par la société « Petro-Ivoire », quitte la Gestoci et fait viser ses documents marqués dans la case destination, « Néka », San Pedro. Mais, quand il quitte le parking sous douane de la Gestoci, il tourne en rond dans la ville d’Abidjan. Aux environs de 16 heures, le conducteur retourne à la Gestoci et, avec la complicité active des agents de sécurité, stationne au parking de l’hinterland. Là, le Pétrole acheté ne pouvant être vendu à Abidjan où il n’est pas consommé, les trafiquants entreprennent de le mélanger avec du gasoil et de l’essence, histoire de pouvoir l’écouler en le faisant passer pour l’un des deux produits utilisés par les automobilistes et autres engins roulants. La pratique est vieille et rapporte de confortables sommes d’argent à toute la chaine de complicité (agents de sécurité, transporteurs et distributeurs de produits pétroliers).
A 17 heures, à l’aide d’une motopompe, les 6000 litres de pétrole, sont transvasés dans des bidons, des fûts de 200 à 1000 litres, après le mélange. L’opération se déroule sous les yeux d’un champion en la matière, nommé Ouédraogo. Lequel serait en fuite depuis l’incendie et serait recherché par la gendarmerie, selon les informations de « L’Eléphant ».
Non loin de là, un conducteur de camion de nationalité malienne, non instruit des consignes de sécurité, entreprend de se faire quelques tasses de thé et, dans un petit fourneau, met le feu à quelques petits morceaux de charbon. Le contact de cette source de chaleur et l’essence mélangée à du pétrole déclenche l’incendie. C’est la panique et la fuite, pour tous. Le camion contenant le pétrole, mélangé à de l’essence, explose, sous l’effet de la chaleur. 16 autres camions immobilisés dans le parking s’enflamment et sont, quelques minutes plus tard, complètement consumés. Mais l’intervention prompte des services de la Gestoci, aidés des sapeurs-pompiers permet de circonscrire rapidement l’incendie qui, heureusement, n’a pas atteint les installations de la Gestoci. La catastrophe provoquée par la cupidité a été évitée, de justesse.
Une enquête, rapidement ouverte par la direction générale de la Gestoci, permettra, quelques jours plus tard, de comprendre exactement ce qui s’est passé et de situer les responsabilités. C’est que le camion, transportant le produit appartenant à la société « Petro-Ivoire », a été tracé grâce au système de géolocalisation et retrouvé dans le parking de l’hinterland où il n’avait rien à faire. Depuis, le rapport de cette enquête, avec tous les documents de preuve, a été envoyé au ministère de l’Energie.
On attend les sanctions contre les acteurs de cette catastrophe…
Du pétrole et de l’essence
Combien de millions de litres de pétrole des distributeurs de produits pétroliers ont vendu à des automobilistes en les faisant passer pour de l’essence ou du gasoil pur ?
Pour gagner plus et toujours plus d’argent, non seulement ils ne livrent pas les produits achetés et présumés destinés à l’intérieur du pays, mais ils les revendent en les mélangeant à d’autres produits. Le pétrole coûtant moins cher que l’essence ou le gasoil, en le mélangeant à l’un de ces deux produits, ils le revendent sous leur appellation en réalisant au passage, un double profit. Sur la distance qu’ils n’effectuent pas mais se font payer le transport par l’Etat. Et sur le produit mélangé.
Ils ne manquent jamais d’idées, quand il s’agit de voler l’Etat, ce grand naïf.
Le combat de la direction des hydrocarbures
La présence du parking de l’hinterland à Abidjan, est un souci permanent pour les responsables de la Gestoci, en raison de ce que ce parking pose constamment des problèmes de sécurité. Les conducteurs de véhicules en provenance du Burkina et du Mali, n’ayant pas toujours les notions de sécurité élémentaire dans un environnement de traitement de produits inflammables, se comportent comme dans leur cuisine.
Après l’incendie du 19 mai, la volonté d’empêcher ces camions d’arriver à Abidjan a été réaffirmée à travers l’accélération des travaux du dépôt de la Gestoci à Yamoussoukro qui, dans quelques jours, devrait recevoir l’ensemble des camions qui arrivent du Burkina et du Mali. Tant à Abidjan qu’à Yamoussoukro, de nombreuses caméras de surveillance ont été installées et le système de géolocalisation est désormais demandé avec insistance aux transporteurs par la Direction des Hydrocarbures. Etrangement, les transporteurs ne veulent pas entendre parler de la géolocalisation qui devrait permettre de retrouver tout camion sorti de la Gestoci et de suivre son trajet jusqu’à la livraison du produit embarqué au lieu indiqué sur les documents officiels. C’est que l’installation du système de géolocalisation mettrait un coup d’arrêt au juteux trafic sur les distances facturées, au détriment des caisses de l’Etat.
La Direction des Hydrocarbures continuera-t-elle ce combat qui pourrait permettre à l’Etat de réaliser de substantielles économies ?
DANIEL SOVY, in L’ELEPHANT DECHAINE 608
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