Ministère de la Construction : Le miracle de Claude Isaac Dé met le village d’Ellokro sur le pied de guerre
Ministère de la Construction : Le miracle de Claude Isaac Dé met le village d’Ellokro sur le pied de guerre
Si ce n’est pas un scandale d’Etat, cela y ressemble.
Le 10 juillet 2018, alors qu’il n’était plus ministre de la Construction et de l’Urbanisme, Claude Isaac De, actuel ministre de l’Economie numérique et de la Poste, a signé un Arrêté de Concession Définitive (ACD) pour attribuer à une société créée de toutes pièces, la propriété d’une parcelle de 150 hectares dans la commune de Port-Bouet. En piétinant au passage, les droits des vrais propriétaires dont le dossier, pour la même parcelle, était cependant sur son bureau depuis octobre 2017.
Petit retour sur un exploit qui confirme et fait briller encore en pleine lumière la mauvaise réputation d’un ministère considéré à tort ou à raison comme le ministère le plus corrompu de Côte d’Ivoire.
Un droit foncier
vieux de 85 ans
Quand feu Miessan Elloh s’installait sur le site actuel du village d’Ellokro (commune de Port-Bouet), nous étions en 1932. Ellokro est situé à environ 8 Km de Port-Bouet, à partir du lycée municipal.
En avril 2007, Miessan Elloh signe une convention avec un cabinet d’aménagement, en vue du lotissement de sa parcelle de terre d’un peu plus de 149 hectares. Mais le 10 août de la même année, alors que le Plan du lotissement avait été tiré, Miessan Elloh, fondateur du village d’Ellokro, décède.
Le 22 mai 2008, ses ayants droit dont le chef actuel dudit village, Elloh Arthur Jean-Cervais, entreprennent des démarches auprès du ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme, en vue de faire approuver le Plan de lotissement de la parcelle.
Les démarches aboutissent à la prise, quelques années plus tard, par le ministère de la Construction d’un arrêté publié au Journal Officiel du lundi 23 décembre 2013, sous le numéro 13-0014/MCLAU/DGUF/DU/SDAF « portant ouverture d’enquête publique en vue de l’approbation de lotissement du village d’Ellokro dénommé « Miessan Elloh », commune de Port-Bouet, District d’Abidjan. »
La lecture de cet arrêté dont « L’Eléphant » s’est procuré une copie attire l’attention sur les passages suivants : « Vu la demande de lotissement formulée par le chef du village d’Ellokro en date du 22 mai 2018 ; vu la lettre N°311/CPB/DST/CAB du 11 décembre 2008 par laquelle le maire de la commune de Port-Bouet, transmet la demande d’approbation du lotissement du village d’Ellokro au ministère de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat, vu le procès-verbal de la commission mixte de la visite du site pour la délimitation en date 13 octobre 2008 ; vu la proposition du règlement de litige par l’Inspection générale en date du 29 mai 2011 qui a permis le retrait de la parcelle d’Elokro de celle d’Abouabou ; vu le rapport de vérification technique de l’état des lieux N°621/MCAU/DGUF/DTC/SDTT/KKL/ dressé en septembre 2012 par la direction de la Topographie et de la Cartographie ; vu le Plan de situation de la parcelle à lotir, vu l’extrait topographique de la parcelle à lotir d’une superficie de 149 ha 81 a 83 ca, dressé le 2 juillet 2012 par le cabinet de du géomètre-expert agréé « NGBABA AKE PIERRE » ; vu le projet de lotissement établi par la sous-direction de l’Aménagement foncier de la direction de l’Urbanisme, sur proposition du directeur de l’Urbanisme, arrête : Article premier : une enquête publique d’une durée d’un mois est ouverte à la mairie de Port-Bouet en vue de l’approbation du Plan du lotissement du village d’Ellokro dénommé « Miessan Elloh… »
Traduction, toute la procédure légale en vue de la prise de cet Arrêté d’ouverture d’enquête, a été suivie par les ayant-droits de feu Miessan Elloh.
Une enquête de Commodo et Incommodo
A la suite de cet Arrêté, plusieurs communiqués, en vue de l’enquête sont publiés, y compris dans le journal gouvernemental « Fraternité Matin ». Quelques semaines plus tard, la Commission Mixte de Lotissement », chargée de l’enquête, enregistre six oppositions dont trois, provenant d’habitants du village d’Abouabou. « Le Commissaire enquêteur a informé l’assemblée qu’à l’issue de l’enquête, six lettres d’opposition ont été enregistrées. Il s’agit des oppositions suivantes : l’opposition de Monsieur Josué Agbo Mobio de la famille Akouedo d’Abouabou faite le 30 décembre 2013 est soutenue par le motif : la parcelle objet du projet fait partie du patrimoine du village d’Abouabou ; l’opposition de Monsieur Koutuan Koutouan Pierre de la Génération Tchagba d’Abouabou faite le 30 décembre 2013 est soutenue par le motif suivant : la parcelle fait partie du patrimoine du village d’Abouabou ; l’opposition de Monsieur Gouedan Hyacinth, chef guerrier Tchaba Agban d’Abouabou faite le 30 décembre 2013 est soutenu par le motif suivant : la parcelle fait partie du patrimoine d’Abouabou…
En novembre 2014, l’ensemble des opposants au projet sont auditionnés. Les trois ressortissants d’Abouabou sont priés de produire les documents justificatifs de leur opposition.
Deux ans plus tard, ne voyant pas arriver les documents demandés, la Commission mixte charge la mairie de Port-Bouet de relancer les opposants afin qu’ils produisent les justificatifs de leurs prétentions. C’est que l’une des prétentions des ressortissants d’Abouabou était que le village d’Ellokro était au départ un campement d’Abouabou et que la parcelle en question ferait partie de la forêt déclassée d’Abouabou.
Des justificatifs reçus par la Commission Mixte
Le 6 septembre 2017, après plus de trois ans d’enquête, la Commission Mixe composée de 16 personnes dont des représentants du Ministère de la Construction et de la mairie de Port-Bouet (voir notre document), rendent un « AVIS FAVORABLE » suivant un procès-verbal dont « L’Eléphant » a obtenu copie: « (…) Vu qu’après plus de deux ans, aucune des parties n’a fourni les documents réclamés, la Commission a relancé la Mairie le 17 mai 2017. Suite à cette relance, la Mairie a adressé des courriers de demande desdits documents à chacune des parties dans un délai de deux semaines sous peine de forclusion. Le 25 juillet 2017, réunie dans la salle du cabinet du maire, la Commission Mixte a d’abord vérifié, à travers les décharges, que les entités concernées ont bel et bien reçu les courriers de demande de documents justificatifs avant de procéder à l’examen des pièces fournies.
1/ ressortissants du village d’Abouabou : Aucun document justificatif n’a été déposé auprès de la Commission Mixte via la Mairie de Port-Bouet, sauf les lettres d’opposition enregistrées pendant la période de l’enquête publique.
2/ Les ayants-droit de feu Miessan Elloh, initiateur du lotissement : Les enfants de feu Miessan Elloh ont fourni les pièces suivantes : une attestation de propriété coutumière délivrée en 1973 par le chef du village d’ANAN ; l’arrêté N°2144 du 31 juillet 1944 donnant les limites de la forêt classé d’Abouabou et stipulant entre autre que les zones couvertes par des plantations de caféiers et de cocotiers situés à l’intérieur de la forêt classée seront délimitées et distraites du patrimoine classé ; le plan obtenu auprès des services forestiers donnant les limites de la forêt classée d’Abouabou avant son déclassement, lesdites limites ne prennent pas en compte la parcelle mise en valeur par feu Miessan Elloh ; le courrier du sous-préfet de Bingerville adressé aux quatre villages Ellokro, Vounie-Vanga, Abouabou, et Mafiblé enregistré sous le numéro 672 SPB/DOM du 10 août 1970 ; d’autres documents qui montrent ce qui suit : feu Miessan Elloh a hérité de son oncle maternel Bodjé Anoué le site objet du projet. Cet oncle était installé sur ce site avant la création du village actuel d’Abouabou, précédemment situé à la léproserie de Bingerville, le site d’Ellokro, avant que la forêt ne soit classée, abritait des plantations, des cultures et des maisons… »
Sur la base de ces documents produits et après vérification des aspects techniques du projet de lotissement, la Commission Mixte émet un Avis favorable pour l’approbation du Plan du lotissement « Miessan Elloh » en écrivant : « Sur l’aspect foncier du projet, la Commission observe ce qui suit : la main levée d’opposition de Monsieur Coffi Ernest représenté par Me Metan est disponible dans le dossier ; la rencontre avec la chefferie prévue au village d’Abouabou a échoué ; la parcelle objet du lotissement n’est pas située dans la forêt déclassée et ne peut être concernée par la mise à disposition dont le village d’Abouabou se prévaut ; les autorités sous-préfectorale de Bingerville ont depuis très longtemps compté Ellokro comme un village au même titre qu’Abouabou. Par conséquent, la Commission Mixte décide : les oppositions des ressortissants du village d’Abouabou sont non fondées : les terres d’Ellokro ne doivent être associées à aucun projet de lotissement initié par le village d’Abouabou : l’Avis favorable est donné pour l’approbation du lotissement Miessan Elloh ».
Miracle au ministère de la Construction
L’Avis favorable de la Commission Mixte enfin obtenu, 9 ans après la fin du lotissement, les ayants droit de feu Miessan Elloh déposent leur dossier, en vue de l’approbation du Plan de lotissement, auprès du Ministère de la Construction, dirigé par Claude Isaac Dé dont les représentants, comme cela est vérifiable sur la liste des membres de la Commission Mixte, ont participé de bout en bout, à l’enquête.
Le dossier est déposé le 3 octobre 2017. Pendant 9 mois, le ministère de la Construction garde le silence, Claude Isaac Dé, ne signe pas l’Arrêté d’approbation du plan du lotissement, malgré les va et vient des ayants droit de feu Miessan Elloh.
Le 4 juillet 2018, le gouvernement est dissout et les ministres, priés d’évacuer seulement les affaires courantes. Ils n’ont plus qualité pour signer le moindre document créateur de droits et engageant l’Etat de Côte d’Ivoire.
Le 10 juillet 2018, le nouveau gouvernement est formé et Claude Isaac Dé quitte le ministère de la Construction pour celui de l’Economie numérique et de la Poste. Il est remplacé par Koné Bruno. Quelques jours plus tard, alors que les ayants droit de feu Miessan Elloh attendent la signature de l’Arrêté d’approbation qui était, selon les services du ministère sur le bureau du ministre, ils réalisent que des aménageurs et autres géomètres, envoyés par une société dénommée « SOADA », ont entrepris, dans leur village, des travaux sur la parcelle dont ils attendaient depuis près de 10 mois l’approbation du plan de lotissement. Comme un seul homme, les habitants d’Ellokro obligeront ces intrus à quitter les lieux.
Comment cette société peut-elle prétendre être propriétaire des 149 hectares objet du lotissement ?
C’est que, avant de quitter le ministère de la construction, Claude Isaac Dé, le 10 juillet 2018, alors qu’il n’en avait plus la qualité, a signé un Arrêté de Concession Définitive (ACD), N°18-03516 /MCLAU/DGUP/DDU /SAS/KEV3 « accordant à la Société d’Aménagement et de Développement d’Abouabou (SOADA), 04 BP 561 Abidjan 04, la Concession Définitive de la parcelle de terrain d’une superficie de 1.510.000 M2 sise à Abouabou, commune de Port-Bouet, objet du Titre Foncier N°206.618 de la circonscription foncière de Port-Bouet. » (Voir notre document).
Traduction, alors qu’il n’était plus le ministre de la Construction, il a signé un acte créateur de droits et engageant gravement l’Etat de Côte d’Ivoire. Quelle est la validité juridique d’un tel acte ? « Il est nul et de nul effet », affirme un spécialiste interrogé par « L’Eléphant ». Lequel ajoute : « l’empressement avec lequel les choses se sont passées, création du titre foncier le 10 juillet, signature de l’ACD le même jour jettent une suspicion légitime sur la procédure qui a abouti à la signature de ce document. C’était quoi l’urgence » ? Question transmise à Claude Isaac Dé.
Isaac Dé, le 10 juillet et la SOADA
Qu’est-ce qui peut pousser un ministre, se sachant non compétent pour signer un document, à le faire dans la précipitation, comme si son successeur pourrait remettre en cause le même document ? En analysant le contenu de l’ACD, « L’Eléphant » a découvert de surprenantes informations.
Une attestation domaniale a été délivrée par Claude Isaac Dé, à la « SOADA » le 3 juillet 2018 sur une parcelle de terrain d’une superficie de 1.510.000 M2 sise à Abouabou, commune de Port-Bouet. Sauf que cette parcelle n’est pas située à Abouabou mais plutôt à Ellokro.
En réalité, en complicité avec les services du ministère de la Construction, la « SOADA » n’a fait que calquer le relevé topographique fourni par les ayants droit de feu Miessan Elloh en soutien à leur demande d’approbation de leur plan de lotissement déposée entre les mains du ministère de la Construction, le 3 octobre 2017.
La demande de l’ACD a été introduite auprès du ministère de la Construction par la société « SOADA » le 21 avril 2018. Sauf qu’à cette date, cette société n’existait pas encore juridiquement. Ses statuts ont été établis le 31 mai 2018 par devant Me Agathe Ayena Bene-Hoane. L’annonce légale de création (Avis de Constitution), de cette entreprise dont « L’Eléphant » s’est procurée une copie, date du 19 juin 2018 (voir notre document) et le dépôt au CEPICI n’a eu lieu que le 13 juin 2018. Voilà donc une société qui est plus âgée que son acte de naissance.
Ce n’est pas fini.
Le titre foncier du terrain, créé de toutes pièces et sans aucune enquête préalable, a été délivré à la « SOADA » le 10 juillet 2018. Et le même jour, l’ACD a été signé par Claude Isaac Dé. Bravo !
Les ayants droit de Miessan Elloh, sortis de leur stupéfaction, ont saisi le nouveau ministre de la Construction, Koné Bruno, d’un recours gracieux, histoire d’obtenir le retrait de cet « ACD » signé dans des conditions rocambolesques par Claude Isaac Dé.
Une réponse négative ou le silence de Koné Bruno, entrainerait la saisine de la Chambre Administrative de la Cour suprême où les sages, pour une fois, devraient avoir quelques raisons de rigoler devant l’empressement d’un ministre, à rendre service à on ne sait qui. En créant des droits patrimoniaux au profit de tiers, sans avoir la qualité.
D’ici là, les habitants de Ellokro, sur le pied de guerre, promettent que « c’est en passant sur notre corps, que la SOADA s’appropriera nos terres ».
Ils devraient aussi, les ayants droit de Miessan Elloh, s’opposer à la publication de cet Arrêté dans le Journal Officiel ?
Promis-juré, « L’Eléphant » suivra avec une attention particulière, l’évolution de ce « miracle administratif » réalisé par Claude Isaac Dé.
DANIEL SOVY. In L’ELEPHANT DECHAINE N°609
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