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Côte d’Ivoire-Licenciements de marins au port de pêche : De petits arrangements qui n’arrangent personne

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Côte d’Ivoire-Licenciements de marins au port de pêche : De petits arrangements qui n’arrangent personne

Les inspecteurs du travail maritime ont-ils sciemment décidé de léser 72 marins licenciés pour motif économique le 7 novembre 2017 ?

À cette période, l’entreprise chinoise Golden qui arme alors 10 navires de pêche fait partir quatre d’entre eux vers la Mauritanie et débarque les 72 pêcheurs qui y travaillent.

Alors que ces derniers devaient toucher leurs droits, il ne leur a été payé qu’une somme qui s’élève à 35 millions de FCFA soit environ 480 000 FCFA par personne. Un montant qui ressemble bien plus à l’indemnité chômage de deux mois de salaire prévue par l’article 45 du code de la marine marchande qu’à des droits calculés en bonne et due forme.

Interrogé sur le fait que cette somme ressemble beaucoup, du fait de sa faiblesse à l’indemnité chômage, le colonel François Bio, inspecteur du travail maritime répond, visiblement agacé. « Vous ne pouvez pas décider que c’est l’indemnité chômage comme cela. Il y a eu une tentative de conciliation en présence des représentants des deux syndicats de marins. On avait calculé 50 millions, l’armement a dit qu’il ne pouvait donner que 30 millions. Après négociation, on est arrivé à 35 millions. ».

Après cette réunion et à partir d’un PV de règlement à l’amiable, les inspecteurs du travail maritime en charge du dossier, les colonels François Bio et Amagbegnon Reine Banga, considèrent qu’il n’y a plus rien à dire dans cette affaire : « C’est quelque chose qui a été réglé pour nous. On ne comprend pas pourquoi, il y a un groupe de 26 personnes qui refusent d’accepter cela alors qu’ils ont signé un papier pour prendre l’argent qui correspond à leurs droits. Les marins viennent souvent salir notre nom alors que nous ne faisons que notre travail.»

Mais les choses ont-elles réellement été faites dans les règles ?

Selon plusieurs spécialistes de droit consultés, des indemnités de droits suite à un licenciement ne se négocient pas. C’est un dû de l’entreprise qui licencie sur lequel il n’y a pas de discussion possible. « Si l’armateur  est en difficultés financières, il peut dire qu’il va d’abord payer la moitié puis le reste dès que sa santé économique sera meilleure mais en aucun cas dire qu’il va moins payer. Cela n’est pas possible » indique l’un d’eux.

Une chose que ne peuvent pas ignorer, les colonels Bio et Banga dont le travail dans ce dossier est étonnant sous bien des aspects.

 « Ils disent qu’ils ont fait une conciliation, explique Yannick N’guessan, un des marins licenciés membre du collectif de 26 qui a entrepris une action en justice, mais à aucun moment il n’y avait un représentant des marins. Des secrétaires généraux de syndicats ne peuvent pas décider à notre place».

La proximité des fêtes pour forcer la main

En effet, en faisant cette « conciliation », les inspecteurs maritimes méconnaissent les textes qui régissent le secteur ou feignent de le faire. De même ils s’érigent de façon troublante en avocat de la société Golden. L’article 97 du code de la marine marchande indique bien qu’avant toute action en justice une tentative de conciliation doit avoir lieu avec l’autorité administrative mais elle ne peut en aucun cas se faire sans les marins ou un représentant de ceux-ci. Selon un spécialiste du droit administratif, malgré ce que disent les colonels Bio et Banga, les secrétaires généraux des syndicats ne sauraient faire figure de représentants : « C’est une affaire qui se gère d’employés à employeur. Si c’est un avocat des marins qui étaient là, on peut accepter, mais des secrétaires généraux de syndicat, ils sont trop loin de l’affaire, cela n’est pas possible ».

Selon le « PV de règlement définitif à l’amiable » dont l’infernal pachyderme a pu se procurer copie, malgré le refus des inspecteurs du travail maritime de le lui transmettre, les  différentes parties présentes dans cet arrangement sont Amagbegnon Reine Banga pour l’administration, Aboubacar Touré pour l’armement Golden et les représentants des deux syndicats, à l’époque Barthélémy Kouassi pour le Symapeci (Syndicat des marins pêcheurs de Côte d’Ivoire) et Grégoire Tapé pour le Symicomapa (Syndicat des marins ivoiriens au commerce offshore, onshore, plongeurs, pêcheurs et assimilés). Les principaux concernés que sont les marins sont donc absents.

Le représentant du deuxième syndicat, Grégoire Tapé, confirme avoir été présent lors de la réunion : « Nous avions calculé à hauteur de plus de 200 millions leurs droits mais cela a été refusé. On a négocié farouchement mais ce sont eux qui décident. Je suis descendu voir les marins pour leur dire que la somme était trop petite et leur conseiller de ne pas prendre mais ils sont libres. Je regrette qu’ils aient pris ».

Quant à Jean François Kpata, signataire du document pour le Symapeci, il explique ne pas avoir été présent lors de la réunion mais avoir été envoyé par le secrétaire général d’alors Barthélémy Kouassi pour le faire. « J’ai signé mais je ne savais pas à quoi correspondait cet argent, on nous a juste dit qu’il fallait le faire pour que les gens puissent toucher leur argent alors j’ai signé. » détaille-t-il.

Un autre élément mérite d’être pris en compte dans cette affaire, à savoir la proximité des fêtes de fin d’année. Les marins sont en effet venus récupérer la première partie de l’argent à la veille de Noël. Cette donnée en termes de « timing » aurait joué un rôle important. Elle semble avoir incité les marins à prendre rapidement l’argent qui leur était proposé sans plus de discours que cela pour pouvoir payer les réjouissances liées à la fête. Ils ont alors signé un document qui serait, selon les inspecteurs du travail, la preuve que les marins savaient qu’ils prenaient leur droit et qu’ils ne pouvaient plus se retourner contre leur employeur par la suite. Était-ce un calcul des inspecteurs ?

Selon un marin du collectif des 26 : « Un capitaine m’a reçu là-bas il m’a dit qu’il n’y avait pas l’argent mais qu’il fallait prendre ça comme ça pour se débrouiller avec. C’est après que j’ai compris que selon l’arrondissement, c’était mon droit qui était là. ». « Nous ne sommes que de petits marins, abonde un autre membre du même collectif, on prend d’abord ce qui est là. Nous n’avons personne derrière nous alors on s’est dit, on prend déjà ça mais si ce n’est pas bon, on peut toujours faire des réclamations après ».

Selon tous les marins interrogés, à aucun moment l’administration maritime pas plus que l’armateur, qui semble avoir laissé étrangement l’affaire dans ses mains, n’a présenté un document en bonne et due forme de calcul de droits pour chacun.

Un pv de non-conciliation pour aller en justice

Des droits qui selon les estimations de « l’Eléphant », en s’appuyant sur les deux textes juridiques de références tourneraient plutôt autour de 85 millions de FCFA, soit environ trois fois plus que ce qui a été donné aux marins.

Autant d’éléments qui ont amené le collectif des 26 à se doter d’un avocat et à aller en justice. Une démarche néanmoins bloquée par l’administration maritime à travers les deux inspecteurs qui se refusent depuis plus d’un an et demi à fournir un PV de non-conciliation au collectif. En l’absence de ce document, comme l’arrête l’article 97 du code de la marine marchande, aucune action judiciaire ne peut prospérer.

 « Lundi 3 juin, narre Yannick N’Guessan, nous sommes venus avec notre avocat sur appel du colonel Bio. Là, il nous a dit que c’était une prise de contact. Nous pensions que c’était pour récupérer le PV de non-conciliation qu’il nous appelait alors que nous avons fait le trajet depuis Bouaké mais ce n’était pas le cas ! Il n’y avait même pas un représentant de Golden ».

Une preuve de plus du mélange des genres entre armateur et administration dans cette affaire. Interrogé sur la rencontre, le colonel Bio confirme l’existence d’« une séance de travail lors de laquelle l’avocat du collectif voulait seulement récupérer un pv de non-conciliation sans discuter ».

Un blocage que le collectif a essayé de surmonter en informant la hiérarchie des deux inspecteurs du travail au niveau de la Direction général des affaires maritimes et portuaires (Dgamp). Selon les informations en possession du pachyderme, la rencontre avec les supérieurs des colonels Bio et Banga n’aurait pas été fructueuse.

Devant tous ces éléments qui ont de quoi surprendre, « L’Eléphant » se pose une question. À qui profite le crime ? À l’armement Golden d’abord qui paie des droits largement inférieurs à ce qu’il devrait. En additionnant l’indemnité chômage, environ 31 millions selon les calculs de « L’Eléphant », aux 85 millions de droits, l’armement aurait dû s’acquitter d’une somme aux alentours de 116 millions de FCFA au lieu des 35 millions, soit une jolie ristourne. Mais qu’avaient à gagner les inspecteurs du travail maritime ? La question reste en suspens.

Un cas de maladie laissé sans suite

Parmi les 72 marins débarqués figure Fulgence Kla. Il opérait depuis le 2 août 2015 en tant que chef d’équipage et délégué de bord sur le chalutier cartonnier Golden 1. « Depuis le mois de janvier 2017, j’avais des brûlures à l’estomac. Je suis allé à l’hôpital en août et on m’a dit que je devais prendre du magnésium ». Avant d’embarquer le marin dit avoir donné les consignes au capitaine d’armement qui était à terre pour aller lui chercher le médicament et le mettre dans la pharmacie du navire. « Le lendemain, je l’appelle et il m’assure que le médicament est bien à bord. Comme c’est moi qui suis chargé de faire sortir le bateau du canal de Vridi, je n’ai pas le temps de vérifier. C’est lorsque nous sommes sortis que je me suis rendu compte qu’il ne l’avait pas fait» explique Fulgence Kla. S’ensuivra un calvaire pour le marin, qui ressentira tout au long de la marée des douleurs à l’estomac, jusqu’à ne pas pouvoir aller à la selle pendant une durée de 10 jours jusqu’au 11 novembre 2017, date de son débarquement. Il sera finalement opéré d’une occlusion intestinale le 23 décembre 2017. Pas plus que les autres, il n’aura touché son droit, ni une quelconque indemnité du fait de la maladie contractée lors de son activité.

DORIAN CABROL, in L’ELEPHANT DECHAINE N°647


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