Côte d’Ivoire-Présidentielle 2020: «Ça craint, on va vers une autre crise plus grave que celle de 2010» (Pulchérie Gbalet, ACI)
Côte d’Ivoire-Présidentielle 2020: «Ça craint, on va vers une autre crise plus grave que celle de 2010» (Pulchérie Gbalet, ACI)
La Côte d’Ivoire organisera une élection présidentielle en octobre 2020. Mais, vu les conditions préparatoires de cette échéance importante, trop de difficultés empêchent les Ivoiriens d’être sur le listing électoral. Pulchérie Edith Gbalet, la présidente de l’ONG Alternance citoyenne ivoirienne (ACI), en parle dans cette interview accordée à notre confrère ‘’Nouvelles Générations’’.
Vous avez initié depuis quelque temps des consultations avec les populations sur des questions notamment, la CNI et l’enrôlement. Qu’est-ce qui motive cela ?
Dans un premier temps en tant que société civile, c’est notre rôle citoyen d’encourager les ivoiriens à se faire établir la pièce d’identité qui est une pièce importante dans toutes les démarches administratives, financières et sociales (courses administratives, voyage, hôpital, banque etc.). Chaque ivoirien devrait avoir sa carte nationale d’identité qui est un droit citoyen. Donc il faut expliquer cela aux ivoiriens parce que l’identité sous nos tropiques est négligée d’autant plus que certaines personnes n’ont même pas d’extrait d’acte de naissance. Il faut expliquer aux populations l’importance d’avoir une pièce administrative comme la CNI.
Secondo, elle fera désormais office de carte électorale et nous sommes en période électorale. Il est donc important de sensibiliser les ivoiriens, surtout ceux qui sont découragés de la politique, à réaliser qu’il est important d’user de son droit de vote pour choisir celui qui conduira la destinée de notre pays au cours des cinq (5) prochaines années. C’est un devoir citoyen très important de participer au vote du Président de la République.
Enfin, il est important pour nous d’interagir avec les populations pour connaitre leurs difficultés et lutter pour les solutions.
Quel est le constat de manière générale sur le terrain?
Le constat général est que le temps imparti à l’opération (Ndlr, de la révision de la liste électorale) est trop court et l’opération est stressante, compte tenu de l’enjeu et du temps qui reste avant les élections.
Nous voulons profiter de l’occasion pour dénoncer la manière dont nos gouvernants procèdent dans leur gestion du peuple. On ne peut pas faire souffrir l’employeur pour des calculs politiciens, car c’est le peuple qui emploie le gouvernement en ayant accordé ses suffrages au Président de la République pour diriger le pays. On amadoue le peuple lors de la campagne électorale et lorsqu’on est élu on le méprise, on fait ce qu’on veut contre ce peuple qui nous a élu. Comment peut-on lancer de telles opérations dans un délai aussi court ? On savait avant 2015 que les CNI expireraient en 2019. Pourquoi n’a-t-on pas anticipé leur renouvellement ? On savait que l’élection présidentielle aurait lieu le 31 octobre 2020, pourquoi n’a-t-on pas initié la révision de la liste plus tôt ? Qu’on le reconnaisse ou pas, nous sommes dans un contexte de crise. Pourquoi la CEI n’a-t-elle pas associé l’opposition à la définition du calendrier électoral ?
Pour revenir à votre question, le constat sur le terrain est qu’il existe de réelles difficultés liées au temps et au moyens financiers, car les ivoiriens dans leur majorité sont pauvres et ont du mal à survivre. Le coût de la CNI est très élevé. 5000fr, c’est trop. Les chiffres de croissance qu’on avance officiellement sont le contraire de la réalité des ivoiriens. Lorsque nos matières premières comme le cacao, le café, l’anacarde, l’hévéa, le palmier à huile et autres sont mal payées et que nos parents planteurs souffrent et ne peuvent s’offrir un kilogramme de riz par jour, ce n’est donc pas une CNI qu’ils pourront établir. La vie est devenue dure car les prix des denrées alimentaires flambent constamment. L’avènement de la Covid 19 est venu enfoncer le clou car en plus des difficultés financières, s’ajoutent les difficultés de déplacement pour établir la pièce de base qu’est l’extrait de naissance. Sans extrait de naissance, on ne peut pas se faire établir un certificat de nationalité, alors que l’isolement d’Abidjan empêche plusieurs personnes de se déplacer pour aller dans leur ville de naissance pour faire leur extrait de naissance. La population est donc entre angoisse et désespoir.
En outre, pour celles qui sont dans leur zone de naissance, il y a un problème avec les nouveaux majeurs qui n’ont jamais eu d’extrait de naissance. La procédure prend trois semaines alors que l’opération ne dure que deux semaines, et là, nous sommes maintenant à trois (3) jours de la fin de l’opération (entretien réalisé, dimanche 21 juin).
Par ailleurs, le Gouvernement a fait l’effort de rendre l’obtention du certificat de nationalité quasiment gratuit, mais sur le terrain, ce coût n’est pas respecté par les agents de l’administration dans certaines localités.
Enfin la communication sur les sites d’enrôlement n’a pas été suffisante car jusqu’aujourd’hui, plusieurs continuent de nous demander où se rendre.
Vous décrivez certaines failles dans lesdits processus. Quelles sont celles que vous avez pu identifier ?
Les failles sont nombreuses. Outre le manque d’anticipation dans l’organisation des deux opérations d’enrôlement qui a induit l’insuffisance du temps imparti, surtout pour l’actualisation de la liste électorale, nous notons l’insuffisance des centres d’enrôlement pour la CNI et la communication insuffisante sur les sites pour l’actualisation de la liste électorale.
Vous qui êtes sur le terrain, quelles sont les inquiétudes des populations en rapport avec ces processus?
Tout ce dont nous avons parlé dans la précédente réponse sont des sources d’inquiétude mais nous insistons sur les points suivants :
Par rapport au renouvellement des CNI, outre le manque de moyens surtout pour les populations du milieu rural, les populations s’inquiètent de ne pas pouvoir se faire enrôler à cause de l’insuffisance des sites d’enrôlement. Nous sommes surpris de voir que pour l’actualisation de la liste électorale, le Gouvernement ait trouvé les moyens de mettre une équipe dans chaque village et en milieu urbain dans presque toutes les écoles, mais que pour la CNI, on n’ait pas pris les mêmes dispositions.
Par rapport à l’actualisation de la liste électorale, ce sont les nouveaux majeurs qui sont les plus inquiets à cause du temps imparti qui est trop court pour que la majorité puissent avoir ses papiers à temps.
Enfin d’une façon générale, les inquiétudes des populations portent sur la crainte d’une autre crise pré ou postélectorale, vu que les conditions d’une élection crédible et apaisée ne sont pas réunies.
Selon vous, faut-il craindre que ce processus soit biaisé?
Le processus est biaisé depuis le début. Lorsque le dialogue politique est en panne et que le dialogue inclusif que nous demandons depuis toujours pour une côte d’ivoire réconciliée n’existe pas, le processus ne connaîtra jamais un succès. On ne peut réussir une telle opération s’il n’y a pas d’entente et de consensus entre nous ivoiriens. Alors que pour s’entendre il faut s’asseoir pour discuter.
D’abord l’organe chargé de mener à bien ce processus (la CEI) est déjà contesté par l’opposition significative et la société civile que nous sommes. Parce qu’au lieu d’être réformée, la CEI a été recomposée et mal recomposée. Ensuite, le code électoral a été modifié par ordonnance sans que le dialogue sur la question ne soit achevé. Enfin la CEI a fait le calendrier électoral sans associer l’opposition et le délai imparti pour la révision de la liste électorale est trop court. C’est pour toutes ces raisons que nous disons que le système est biaisé depuis le début car sans la concertation et le consensus on ne peut réussir une telle opération dans un pays qui est en crise depuis trois (3) décennies. Pour nous, la Côte d’Ivoire n’est pas encore sortie de sa zone de turbulences à cause du manque de volonté politique.
Avez-vous des recommandations à faire ?
Nos gouvernants se sont spécialisés dans les passages en force et c’est très dangereux. Il n’y a pas de solution qui vaille en dehors du DIALOGUE INCLUSIF. C’est la seule solution pour une paix durable car il rassemblera tous les acteurs politiques et la société civile autour d’une table pour dégager un consensus national.
Malgré toutes vos interpellations le processus semble suivre son cours. À qui cette obstination pourrait profiter selon vous?
C’est pour cela que nous dénonçons la pratique des passages en force. Cette obstination ne profite à personne, pas même à ceux qui en sont à la base, puisqu’elle ne peut qu’aboutir à une autre crise plus grave que celle de 2010, et Dieu seul sait qui pourrait s’en sortir. Que Dieu vienne nous sauver et qu’il guérisse NOTRE Côte d’Ivoire car lui seul a la capacité d’incliner les cœurs.
Interview réalisée par Nouvelles générations
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