Côte d’Ivoire (opinion): La lettre amère d’un journaliste à Patrick Achi, après sa sortie sur RFI
Côte d’Ivoire : La lettre amère d’un journaliste à Patrick Achi, après sa sortie sur RFI
Monsieur Patrick Achi,
Je vous ai écouté, ce jour, donner, sur les ondes de Radio France Internationale, votre position sur la scabreuse question d’un hasardeux 3eme mandat présidentiel du chef d’État sortant, qui remue en ce moment la situation intérieure du pays, et je dois vous dire, en toute franchise, que vous décevez.
Rappelez-vous que vous étiez ministre sous Laurent Gbagbo, et que perché à ce poste de haut niveau dont vous jouissiez, vous étiez un objecteur de conscience face à la rébellion armée. On entendait votre voix de ténor politique barrir dans le pays et sur les ondes pour opposer aux tenants de cette rébellion armée la préférence patriotique, la défense des institutions de la République, l’option de la démocratie.
Aux côtés du président Gbagbo, habité par la raison d’État et par la légitimité populaire, vous étiez cette voix qui comptait beaucoup. Il vous arrivait même de vous exprimer entièrement en anglais pour expliquer au monde anglophone l’égarement de ceux qui portaient les rêves de guerre de la rébellion armée dont les ambitions endeuillaient le pays.
Aujourd’hui, vous passez outre votre position d’hier et vous voilà servant le régime Ouattara dont vous connaissez l’histoire. L’homme fort de ce régime, Monsieur Alassane Ouattara, est aujourd’hui en fin de mandat, ayant même épuisé son second quinquennat, et vous le savez.
Mais rêvant d’une longévité politique pour continuer à savourer les délices du pouvoir d’État, il instaure en 2016 une 3eme République en changeant la Constitution trouvée en place, à sa prise de pouvoir en 2010. Premier à être interrogé sur la question d’un éventuel troisième mandat présidentiel, il a été catégorique en répondant qu’il ne le briguerait pas, et cela, même si on le lui demandait expressément.
Il a été suivi par son ministre de la Justice, Sansan Kambilé, qui avait soutenu qu’il serait constitutionnellement impossible pour le chef d’État d’aller à un 3eme mandat. Tout son gouvernement a soutenu la même position. Même l’expert en droit du Rdr, Cissé Bacongo, avait émis cette réserve constitutionnelle qui ne permettait pas au chef d’État sortant de se donner un 3eme mandat.
Lui-même a indiqué, à nouveau, qu’il passerait la main à la jeune génération.
D’où vient-il donc que, brusquement, Monsieur Alassane Ouattara tente de retourner la situation en sa faveur ?
Pourquoi entend-il aujourd’hui revenir, contre toute attente, sur sa parole et dire qu’il est encore candidat à sa propre succession ?
Comment va-t-il même jusqu’à faire croire qu’il répond là favorablement à la demande pressante des Ivoiriens ?
Depuis quand le peuple de Côte d’Ivoire lui aurait-il demandé d’être le candidat qu’il veut être à tout prix ?
Après 10 ans de régime et de règne, qu’a-t-il encore à proposer de mieux avec un 3eme mandat impopulaire?
Comment se fait-il même que ses partisans font croire qu’il lui faut absolument ce 3eme mandat pour préserver la paix en Côte d’Ivoire ?
La paix en Côte d’Ivoire ne serait-elle pas possible, tant que monsieur Alassane Ouattara ne demeure pas chef d’État ?
Monsieur Patrick Achi, comment répondez-vous à tout cela, vous dont la même voix de ténor de son régime politique, barrit encore à ses côtés pour faire passer ces mises en scène contestées, que tout le monde voit et qui n’augurent rien de bon pour le pays?
Et, justement, les contestations se font jour dans le pays. Comment justifier qu’il y ait déjà mort d’hommes parmi les manifestants qui usent de leurs droits constitutionnels à s’exprimer pacifiquement sur cette question nationale ?
On dira de vous, Monsieur Patrick Achi, vous qui défendiez, hier, la constitutionnalité du régime Gbagbo, et qui défendez, aujourd’hui, l’inconstitutionnalité du 3eme mandat de Monsieur Ouattara, que vous êtes un oiseau de mauvais augure.
Quelle conscience vous donnez-vous à servir de trompette dans un orchestre qui joue faux?
A partir du moment où il y a déjà mort d’hommes par répression au sein du peuple manifestant, l’homme fort du moment, que vous continuez de soutenir mordicus, en vaut-il encore la peine?
La lucidité intellectuelle et politique ne commande-t-elle pas à nos consciences, à tous, de demander et d’exiger son départ pur et simple, et non plus simplement le retrait de sa candidature?
Quel bon sens soutenez-vous, quand vous vous affichez du côté d’un homme d’État en fin de mandat réel, qui n’entend pas raison et qui veut demeurer au pouvoir, quoique cela en coûte à la vie du peuple?
N’est-ce pas la même obstination à rester absolument en place, que lui-même et ses soutiens, reprochaient radicalement à son prédécesseur Laurent Gbagbo ?
Un poste de ministre d’État empêche-t-il de voir clair, de dire vrai et de marcher avec droiture ?
Est-on ministre d’État pour le mérite d’avoir été une girouette politique à ce point ?
Nous nous posons ces questions à votre endroit, parce que vous êtes quand même un brillant commis de l’Etat, bien connu pour son sens du travail technique fait avec brio. Mais que vous a-t-on donné à manger au Rhdp pour que vous perdiez ainsi toute cette crédibilité intellectuelle qu’il vous suffisait de garder encore pour demain ? Car oui, on est aujourd’hui, mais Il y a aussi demain qui arrive…Ce pouvoir d’aujourd’hui sera-t-il toujours là, demain ? Wait and see…
Sylvain TAKOUE
Journaliste
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