Ouattara en colère contre ses responsables locaux: Le comble de l’absurde… Que cache la révolte du président? (Par SKY)
Ouattara en colère contre ses responsables locaux: Le comble de l’absurde… Que cache la révolte du président? (Par SKY)
Alors que nous discutions de situations ubuesques éveillant mon étonnement, un de mes maîtres à peine plus âgé – Paix à sa grande âme ! – aimait à me rappeler que la vie est plus spirituelle que physique. Ce qu’il voulait me dire, c’est qu’il ne fallait pas systématiquement rechercher les réponses aux questions dans les faits, actes ou mots, mais qu’il fallait aller au-delà de la matière pour interroger la métaphysique, comme le font les philosophes ou questionner l’esprit comme le font les guides religieux.
La révolte de notre cher président, tout en me rappelant le souvenir douloureux de la disparition précoce et brutale du jeune ermite, me permet, encore une fois, d’éprouver la sagesse de son enseignement. Car, il faut bien l’avouer, que le détenteur de la réalité du pouvoir d’Etat se révolte est chose bien curieuse qui ne manque pas de susciter l’effarement.
En effet, dans le cadre politico-étatique, la révolte est une arme utilisée, soit par tout ou partie du peuple soit par l’opposition, pour exprimer son mécontentement au pouvoir. Elle se manifeste sous diverses formes, dont les principales sont la rébellion, l’insurrection et la désobéissance civile. Un chef d’Etat qui se rebelle, un gouvernement en insurrection ou un parti au pouvoir qui lance une action de désobéissance civile, c’est le comble de l’absurde.
Comment donc comprendre la révolte de notre cher président ? Interrogeons ensemble le père de la philosophie de l’absurde, Albert Camus (1913-1960), et son chef d’œuvre sur la question, L’Homme révolté. Publié en 1951, L’Homme révolté fait suite à l’exploration de la négation entamée par son auteur avec Le Mythe de Sisyphe (essai, 1942) et poursuivie dans L’Etranger (roman, 1942), Caligula (roman, 1944) et Le Malentendu (pièce de théâtre, 1944). Alors que ces œuvres du « cycle de l’absurde » traitaient principalement du caractère absurde de l’existence à travers les thèmes du suicide, de la mort, de la folie ou de l’amour, avec L’Homme révolté, Camus opte pour le dépassement de l’irrationnel et se concentre sur le positif, aux sens sociologique et philosophique, voire juridique du terme.
L’homme révolté, c’est ce rebelle qui finit par perdre de vue sa révolte initiale et son projet de révolution pour tomber dans le nihilisme. Il finit par sacrifier le réel au profit de l’idéologie et rationaliser le meurtre. L’homme révolté, c’est l’opprimé ou le témoin de l’oppression pour qui la révolte est la première évidence et dont la devise est « Plutôt mourir debout que de vivre à genoux. » L’homme révolté, c’est, par exemple, cet homme engagé qui proteste contre les idéologies mues par l’absurde, la négation et le nihilisme et qui réagit contre les « crimes logiques », ceux prémédités de manière massive au nom d’une « philosophie qui peut servir à tout, même à changer les meurtriers en juges », selon les propres termes d’Albert Camus.
Mais l’homme révolté ne saurait être bien compris qu’à la lumière de ce qu’est la révolte. Dans La pensée de midi : Révolte et Meurtre, le prix Nobel de littérature 1957 en donne la définition suivante : « La révolte n’est nullement une revendication de liberté totale. Au contraire, la révolte fait le procès de la liberté totale. Elle conteste justement le pouvoir illimité qui autorise un supérieur à violer la frontière interdite. Loin de revendiquer une indépendance générale, le révolté veut qu’il soit reconnu que la liberté a ses limites partout où se trouve un être humain […]. Le révolté exige sans doute une certaine liberté pour lui-même; mais en aucun cas, s’il est conséquent, le droit de détruire l’être et la liberté d’un autre. Il n’humilie personne. La liberté qu’il réclame, il la revendique pour tous; celle qu’il refuse, il l’interdit à tous. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que, à première vue, la posture de notre cher président, qui est en pleine possession de la réalité du pouvoir et qui clame haut et fort que tous ceux qui parlent de transition peuvent toujours rêver, est aux antipodes de celle d’une personne pouvant se révolter. Comment, en effet, imaginer qu’un homme au-dessus de la Constitution, Chef de l’armée, de la gendarmerie et de la police, patron de la justice et garant des instances électorales, puisse se révolter ? En réalité, il faut lire entre les mots et au-delà pour saisir le sens profond de cette phrase révélatrice : « Ce n’est pas normal d’empêcher les gens de voter. En tout cas, je suis révolté » prononcée lors du Conseil politique du RHDP tenu le mardi 17 novembre 2020, au Sofitel Hôtel Ivoire.
Ce sens profond est contenu dans le reproche que le champion du RHDP fait à certains de ses collaborateurs en ces termes : « J’ai dit aux responsables que je ne comprends pas comment le FPI et le PDCI-RDA peuvent manipuler les jeunes alors que nous sommes au pouvoir. » N’est-ce pas un aveu, à peine voilé, qui en dit long sur la réalité du simulacre électoral du 31 octobre 2020. Ne confirme-t-il pas la thèse du suivi massif de la désobéissance civile et du boycott actif lancés par l’opposition, sous le leadership du président Henri Konan Bédié ? Ne donne-t-il pas du crédit à la thèse largement soutenue par les médias et observateurs nationaux et internationaux, faisant état de ce que le taux de participation réel se situait entre 8 et 10%, loin des chiffres brandis par la CEI, le Conseil constitutionnel et le régime RHDP ? Deux adages bien connus des Ivoiriens répondent à ces interrogations. L’un dit « on ne peut pas cacher le soleil avec la main » et l’autre enseigne « l’arbre ne peut cacher la forêt ».
Dans un Etat de droit, la suite logique de cet aveu public aurait été la reconnaissance de l’illégitimité du scrutin, d’autant que la grande majorité des citoyens a refusé volontairement d’y participer, pour les raisons que l’on sait et dont la première est l’illégalité de la candidature du président sortant. Mais, celui-ci nous dit, pince-sans-rire, que c’est seulement dans nos naïves têtes de rêveurs que cela peut avoir lieu. Mais, comme je suis un rêveur, je vais continuer de rêver, avec les 90 à 92% des Ivoiriens, d’une transition pour l’organisation d’une nouvelle élection, cette fois-ci pacifique, transparente, crédible, inclusive. Et comme j’ai foi en cela, je prie Dieu qu’Il touche le cœur de notre cher président, afin qu’il comprenne qu’il n’y a jamais de sacrifice assez grand pour la paix dans un pays qu’on aime.
Séraphin Kouamé Yao (Ndlr, SKY)
Ecrivain et Chercheur en Science politique
Maire de Brobo
In Le nouveau réveil – jeudi 19 novembre 2020 – N°5618 // http://www.lereveil.net
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