Séraphin K. Yao (Science politique) écrit à Macron: «Jusqu’ici, je n’avais rien eu à te reprocher… Que d’espoirs déçus !»
Excellence Monsieur le Président Macron et cher grand-frère Emmanuel Jean-Michel Frédéric,
Quand tu fus élu le 7 mai 2017 par tes concitoyens, les Français, deux sentiments m’animèrent. D’une part, comme beaucoup d’observateurs, je fus surpris. Honnêtement, je m’attendais plutôt à un plébiscite du premier ministre François Fillon. Mon étonnement m’a conduit à analyser ton parcours, afin de comprendre comment un tel miracle a pu se produire.
Je découvris que de miracle, il n’y en avait point : j’avais juste devant mes yeux un génie politique, quelqu’un dont je pouvais m’inspirer. Le second sentiment fut la joie. Joie de voir unepersonne de ma génération, un aîné d’à peine un an, s’asseoir sur le fauteuil présidentielle de la grande France, cette France altière, cette France symbole de démocratie et de libertés, cette France incarnation tangible de l’Etat de droit. En vérité, ta brillante élection fut pour moi et pour beaucoup de jeunes, à travers le monde et singulièrement en Afrique noire francophone, une source intarissable d’espoir.
Cet espoir, qui jaillissait de mon rêve inouï de voir, un jour, mon pays, la Côte d’Ivoire, se hisser au diapason du modèle démocratique français, qui a permis que puisse s’exprimer ton génie pour ton foudroyant succès, était si immense que je ne voulus rien voir ni entendre des quolibets au sujet de ton épouse. Certes, chez nous, cela ne se fait pas : épouser une aînée est déjà mal en soit, à plus forte raison épouser une femme de la génération d’âge de sa propre mère. Mais, la France, ce n’est pas chez nous et la situation matrimoniale du président de la République française est le problème des Français et non le mien.
Depuis ton élection, je suis régulièrement le « macronomètre » (outil d’analyse et de suivi de tes promesses créé par la Fondation iFRAP) et je dois avouer que, malgré les critiques acerbes, notamment sur la gestion de la pandémie du COVID-19,je te trouve plus qu’à la hauteur. J’apprécie particulièrement le leadership de la France concernant les problématiques liées au développement durable, notamment en matière de protection de l’environnement et de réchauffement climatique, ainsi que ses positions sur les questions de géopolitique et de sécurité internationale.
Jusqu’ici, je n’avais rien eu à te reprocher en ce qui concerne la politique française que tu conduis en Afrique. Non pas qu’il n’y ait rien à reprocher à ton pays qui continue d’afficher son racisme vis-à-vis de mes frères et sœurs africains, qu’ils soient de passage, possèdent un titre de séjour, qu’ils soient nationaux français ou migrants et surtout qui n’en a pas fini avec la colonisation et le pillage de nos ressources. Mais, si j’estime que tu dois faire plus d’efforts sur ces questions, je trouve qu’au-delà de tes discours, tel celui prononcé à l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, le mardi 28 novembre 2017, à travers lequel tu déclarais qu’ « il n’y a plus de politique africaine de la France », tes méthode, actes et actions des débuts, que Jeune Afrique résume en le triptyque« politique économique accrue, dialogue politique renforcé, gestes symboliques forts »,ont longtemps plaidé en ta faveur.
Excellence Monsieur le Président et cher grand-frère,
L’un des tournants sur lesquels tu étais fortement attendu au début de ton mandat était l’attitude de la France concernant les joutes électorales dans les anciennes colonies, notamment en Côte d’Ivoire et en Guinée. On scrutait ta position quant à une éventuelle envie de troisième mandat anticonstitutionnel des dirigeants de ces deux pays, dont les peuples, qui ont, par le passé, souffert de coups d’état et de crises électorales, aspirent, comme le peuple français, à la démocratie, aux libertés et à l’Etat de droit. Comme moi, la majorité des Ivoiriens, dont 3 000 – certaines sources parlent de chiffres largement plus importants – sont morts lors de la crise post-électorale de 2011, ont beaucoup cru en toi, quand tu as salué, sur twitter, la décision du président Ouattara de respecter la Constitution de la Côte d’Ivoire, en ne briguant pas un troisième mandat, en ces termes : « Je salue la décision historique du Président Alassane Ouattara, homme de parole et homme d’Etat, de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. Ce soir, la Côte d’Ivoire donne l’exemple. »
Que d’espoirs déçus ! Je ne veux pas rentrer dans les considérations profondes ou médiates qui t’ont fait rétropédaler. Les supputations vont bon train pour dire que certains dans ton entourage proche et toi-même auriez reçu beaucoup d’argent, pour vous motiver à mettre une sourdine à ton hésitation de cautionner la parodie d’élection du 31 octobre 2020, à laquelle – faut-il te le rappeler ? – plus de 90% des électeurs ont refusé de participer. Allons ! Je ne veux pas croire ça ! Donc, je vais m’en tenir à la raison immédiate, celle que tu excipes, toi-même, au cours de ton dernier entretien accordé à Jeune Afrique. Que la France, seulement mue par ses intérêts et celui de ses dirigeants, félicite un président africain mal élu, ce n’est pas nouveau ! L’histoire de notre continent est jalonnée d’exemples de soutien du pays de Rousseau et Montesquieu aux autocrates, despotes, dictateurs, putschistes et autres tueurs de démocratie. Mais, que toi si jeune et modèle de millions de jeunes en Afrique, toi qui incarnais tant le changement de paradigme dans les relations France – Afrique, toi qui annonçais la fin fracassante de la françafrique et du focardisme, empruntes cette voie jonchée de cadavres, de douleurs et de pleurs des miens et t’en rendre complice, est sidérant et désespérant.
Eh quoi, Monsieur Alassane Dramane Ouattara a le droit d’être candidat en violation de la Constitution pour cas de force majeure ! Toi si rationnel et cohérent d’habitude, t’entends-tu dire que la Constitution de la France, loi fondamentale de ton pays, peut être déchirée pour permettre au président sortant de briguer un troisième mandat qu’elle interdit simplement, parce que le nouveau champion choisi par son parti est brusquement décédé ? Je frissonne de peur pour toi, si tel est ton agenda caché. Aurais-tu pu soutenir une telle ineptie concernantla France ou un pays européen ? Aurais-tu parlé de situation exceptionnelle, de candidature par devoir ? Par quelle alchimie arrives-tu à distinguer les situations guinéenne et ivoirienne, alors que, dans un cas comme dans l’autre, la Constitution a été modifiée et violée pour un troisième mandat ? Que justifie cette politique de deux poids deux mesures ? Certes, comme tu le clames « la France n’a pas à donner de leçons ». Mais, ne crois-tu pas que le pays de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 se doit d’être un exemple pour les peuples qui aspirent aux principes, valeurs et vertus démocratiques ; ne crois-tu pas qu’elle se doit de servir de modèle aux Etats qui aspirent à l’institutionnalisation de la démocratie ?
Je m’attendais à ce que tu t’inscrives dans la droite ligne tracée par notre aîné Barack Obama qui affirmait, lors d’une visite à Accra, pendant sa présidence, que l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions. Mais, ça tu le savais à ton arrivée. Seulement, maintenant que tu es dans le secret des arcanes du néocolonialisme, tu as certainement compris que cela n’est pas dans l’intérêt de la France et des Français. Car, que serait ta chère France, dans l’hypothèse d’une Afrique où régnerait la démocratie, une Afrique politiquement stable, économiquement prospère et socialement épanouie ? Je veux bien la voir !
Séraphin Kouamé Yao
Chercheur en science politique
Maire de Brobo
Délégué PDCI-RDA
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