Explosif/Boga Dago Joachim dit Boga Sivori, porte-parole des chefs traditionnels de Gagnoa: «On a l’impression qu’on nous harcèle…»
La question du retour imminent du président Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire alimente les débats. Dans cette interview, Joachim Dago Boga dit Boga Sivori, porte-parole des chefs coutumiers de Gagnoa, parle de la ferveur avec laquelle les populations préparent cet évènement, demande la libération des prisonniers politiques dont le ministre Maurice Kakou Guikahué, chef du secrétariat exécutif du Pdci-Rda.
L’actualité de ces derniers jours est meublée par la remise de deux passeports ivoiriens au président Laurent Gbagbo, fils de la région du Gôh. L’un diplomatique et l’autre ordinaire. Comment les populations et les chefs ont accueilli cette nouvelle ?
Avec une grande joie. Une grande satisfaction. Le président Laurent Gbagbo a été acquitté. Depuis le 15 janvier 2019. Aujourd’hui, nous sommes en 2020. Cela fait un an que cette affaire de son retour tourne. Lui-même, il a dû se déplacer en tant qu’ancien chef d’Etat pour aller demander un passeport ordinaire à l’ambassade de Côte d’Ivoire en Belgique. Ce sont des choses gênantes. Vu son statut, ce sont des choses auxquelles la loi lui donne droit. Et puis, pour un citoyen ordinaire, obtenir un passeport, c’est un fait banal ! Voyez-vous l’allure que cela a pris ? Aujourd’hui, nous ne voulons pas bouder notre joie de ce qu’il ait reçu les deux passeports. Pour moi, c’est un pas très important vers la réconciliation. Car cela lui ouvre la porte du retour en Côte d’Ivoire. Généralement, quand on intervient, les gens disent, comment vous êtes des chefs et vous intervenez dans des affaires de politique. Il faut préciser que pour nous, le cas de Laurent Gbagbo transcende les clivages politiques, ça transcende la question politique ! C’est une question d’intérêt national ! La question de Laurent Gbagbo est au centre de la réconciliation. Et la première mission du chef du village, en tant que gardien des us et coutumes, c’est d’être gardien de la paix et de la cohésion sociale. Tout ce qui touche à la paix et à la cohésion sociale doit interpeller le chef de village. Tout le monde est unanime que c’est l’homme politique qui manque à la chaîne. Aujourd’hui, nous sommes heureux et nous félicitons le chef de l’Etat pour cet acte qui nous rapproche de la réconciliation et l’encourageons à aller plus loin, en créant les conditions de son retour assez rapide, conformément à la loi ! Ce n’est pas une faveur. Il y a la loi portant statut des anciens chefs d’Etat, anciens présidents d’institutions, anciens membres du gouvernement etc. Il n’a que trop duré là-bas !
Vos populations préparent-elles le retour de leurs frères, Laurent Gbagbo et Blé Goudé ?
Je ne vous le fais pas dire. Dans la crise que la Côte d’Ivoire a vécue, Gagnoa a vécu le martyre. Ce sont nos deux enfants les plus illustres, Laurent Gbagbo et Blé Goudé, qui sont à la Cpi depuis neuf ans. Et depuis nous luttons. Mais lorsqu’il y a eu les derniers évènements, à Gagnoa, il n’y a rien eu. Ils ont affronté la justice internationale et ils ont gagné ! Au-delà de nos deux enfants, nous étions visés ! On a voulu montrer que le peuple Bété est un peuple belliqueux, palabreux, en déportant ses deux enfants, cela avait forcément une répercussion sur nous. La justice internationale vient de nous laver. Elle vient de les blanchir et par ricochet le peuple Bété. Nous sommes un peuple accueillant, paisible. A l’idée qu’ils vont être libérés et qu’ils vont venir, c’est depuis longtemps que leur arrivée se prépare. Et nous les chefs particulièrement nous viendrons les chercher jusqu’à l’aéroport d’Abidjan pour partir avec eux.
Dans l’attente du retour du président Laurent Gbagbo, quel est précisément l’état d’esprit des populations de Gagnoa ?
Les choses évoluent. Figurez-vous, quand on a arrêté Gbagbo, Gagnoa était envahie par les rebelles. Les gens pensaient que les gens allaient se révolter, donc ils ont martyrisé nos populations. Ils ont même fait des barrages sur les routes pour aller en brousse. A Gagnoa, c’était particulier. On dit, c’est chez Gbagbo, c’est chez Blé Goudé. Ils étaient dans les villages. Il y avait la peur qui tétanisait les populations. Aujourd’hui que leurs fils ont été acquittés, elles se disent, il n’y a plus rien à faire. Ils sont dans un état d’esprit de réconciliation, de pardon, pour aller de l’avant. Ce qui nous intéresse en tant que chefs de village, c’est que nos enfants qui étaient accusés de graves crimes, étaient accusés à la face du monde, sont innocents et ont les mains propres et ils viennent d’un peuple qui a une culture de paix. Qu’ils reviennent au pouvoir ou pas, cela dépend des Ivoiriens, ça dépend de leurs partis politiques. Nous sommes des chefs de villages, notre souci, c’est la cohésion. Le peuple de Gagnoa est disposé à la paix, à la cohésion.
Dans ce dossier, on parle plus de Laurent Gbagbo et moins de Blé Goudé. Est-ce que cela n’est pas une tache noire dans la joie qui anime les populations et les chefs de Gagnoa ?
Personne n’est lésé. Quand on a parlé du passeport du président Laurent Gbagbo, les gens ont posé la question à Blé Goudé, qu’est-ce qu’il a répondu ? Il a dit moi je suis dans les bagages de Laurent Gbagbo. Demain matin, il monte dans l’avion, je monte avec lui. C’est son fils, son petit-frère. Chez nous, c’est l’aîné qui est devant. C’est lui qui conduit le combat. Quand on parle de Gbagbo, on parle de Blé. Pour nous, dans le bagage de Gbagbo se trouve le nom Blé Goudé. Il ne se sent même pas lésé. Gbagbo ne viendra pas ici (en Côte d’Ivoire) sans Blé. S’il vient sans lui, on va lui dire, va le chercher ! Sachez que, dans notre subconscient, quand on parle de Gbagbo Laurent, c’est de Blé Goudé qu’on parle. Pour nous, Gbagbo et Blé, c’est la même personne. Ce sont nos enfants, c’est pour eux que nous parlons.
Il y a de mauvaises langues qui disent qu’avoir un passeport ne signifie pas emprunter l’avion pour venir en Côte d’Ivoire ?
Je n’ai pas souvent envie de répondre à des choses pareilles. On se connait à Gagnoa et ceux qui tiennent ces propos savent où ils sont et d’où ils viennent. Même les petits enfants savent qu’ils sont avec ceux qui ont déporté Gbagbo. Je voudrais dire qu’un passeport est un document de voyage. Celui qui en fait la demande, c’est pour voyager. Dans le cas d’espèce, il s’agit d’un homme qu’on a déporté dans un pays lointain, qui a affronté la justice internationale et qui souffre d’envie de rentrer dans son pays. Et vous savez que les choses n’étaient pas faciles. Si on devait lui donner cela de façon rapide, c’est le premier jour de son acquittement ! Aujourd’hui, on le lui donne. D’abord, si réellement, il se reconnait comme parent de Gbagbo, la première réaction, c’est la joie. Il ne faut pas tout de suite mal prendre les choses ! Ceux qui disent cela, c’est qu’ils sont avec ceux qui ont déporté le président Gbagbo. Peut-être qu’ils détiennent des informations que nous n’avons pas. Peut-être qu’ils disent, dans leur bois sacré, qu’ils vont donner les passeports pour baisser les tensions ou amuser les gens et médiatiser le sujet. Que leur volonté réelle est de les laisser venir. Il n’y a pas que le passeport, il faut créer les conditions de retour par rapport à la loi. Tant que ce n’est pas fait, il ne viendra pas. S’ils ont des informations, qu’ils nous mettent la puce à l’oreille.
En parlant de conditions de retour du président Laurent Gbagbo, à quoi pensez-vous exactement ?
Tout le monde veut qu’il vienne pour que la Côte d’Ivoire retrouve la paix, la cohésion. Pour gouverner ce pays, il faut qu’il soit en paix. En tant qu’ancien chef d’Etat, il a des droits par rapport à la loi fixant statut des anciens chefs d’Etat, anciens présidents d’institutions et anciens ministres. Il doit avoir un logement, sa sécurité doit être assurée. Il faut qu’il vienne dans un esprit d’apaisement, dans un climat de paix. On doit lui trouver des agents de sécurité. C’est ce qu’il a fait en son temps quand le Premier ministre Alassane Ouattara, rentrait. Laurent Gbagbo a tout mis à sa disposition. Il faut que dans nos Etats, on applique les lois. Je ne demande pas la faveur de quelqu’un, mais l’application d’une loi ivoirienne.
Un membre du gouvernement estime en substance que Laurent Gbagbo ne viendra pas tant que le verdict de l’appel n’est pas encore rendu. Autrement dit, pour lui, ce retour est lié à la fin du procès qui passe par le délibéré de l’appel. Comment jugez-vous son opinion ?
Ce n’est pas lui le juge. Les juges ont acquitté Gbagbo Laurent. Ils ont même assorti cela de sa libération immédiate. Ce sont les mic mac politiques qui ont retardé son retour. Mais après, les mêmes juges ont dit que les conditionnalités qui étaient appliquées sont levées. Et qu’il pouvait se rendre dans 115 pays qui sont signataires du statut de Rome par rapport à la Cpi et la Côte d’Ivoire en fait partie. Donc, il peut venir en Côte d’Ivoire. Où est donc son problème ? S’il y a un procès lié à l’appel et qu’on demande à Gbagbo d’y aller, il va y aller librement. Quelqu’un qui n’a pas eu peur quand on tirait sur sa résidence, où les bombes tombaient sur sa résidence, alors même que des gens lui conseillaient de quitter cette résidence pour se cacher ailleurs, comment peut-il se dérober à la justice ? Gbagbo a dit : je ne sortirai pas d’ici. On ne dira pas que Gbagbo Laurent était en train de fuir quand on lui a tiré dans le dos. Si on doit me tuer, qu’on me tue ici parce que c’est ici qui est la maison du peuple de Côte d’Ivoire et moi j’ai choisi de défendre le peuple de Côte d’Ivoire et de mourir pour le peuple de Côte d’Ivoire. Alors cet homme-là qui est allé à la Cpi et qui a dit au tribunal : nous irons jusqu’au bout et qui est resté calme et tranquille et qui est allé au bout du procès qu’il a gagné, est-ce maintenant qu’une fois en Côte d’Ivoire, il va fuir ? C’est pourquoi, je dis qu’il faut laisser les gens raconter leur propre vie. Un homme politique français, Edgar Pizzani, a dit : quand tu gouvernes, il faut agir en ayant à l’esprit qu’un jour, tu vas passer dans l’opposition et si tu es dans l’opposition, il faut agir en ayant à l’esprit qu’un jour, tu vas passer au pouvoir. Cela doit permettre aux hommes d’avoir un comportement qui fait avancer la société. La paix favorise d’abord celui qui gouverne, donc celui qui gouverne doit d’abord créer les conditions de la paix pour dérouler son programme pour lequel il est élu. A moins qu’il n’ait pas l’intention de faire des choses bien pour la population.
Au-delà des deux illustres fils de Gagnoa dont vous venez de parler, il y a un autre non moins illustre, à savoir le secrétaire exécutif en chef du Pdci-Rda, le professeur Maurice Kakou Guikahué, qui est actuellement en détention à la Maca. Comment cette détention se répercute-t-elle sur le moral des populations de Gagnoa ?
Le professeur Maurice Kakou Guikahué est un fils du terroir. Un digne fils du terroir, mais mieux, il est notre député. Donc, notre représentant à l’Assemblée nationale. Nous avons été peinés qu’alors que nous souffrons déjà de l’absence de Laurent Gbagbo, de Blé Goudé, on vienne prendre celui qui était là et qui venait nous soulager de temps en temps pour le mettre à la Maca. En tout cas, à Gagnoa, nous avons ressenti ça avec beaucoup de peine. Je voulais quand même dire qu’on a l’impression qu’on nous harcèle un peu. Ça nous a vraiment touchés et c’est pourquoi les chefs se sont réunis spontanément pour venir le saluer à la Maca. En réalité, notre objectif, c’était d’aller le voir à la Maca. Quand la nouvelle lui est parvenue, il a dit : je vous remercie déjà, mais à cause des mesures de Covid-19, vous ne pouvez pas venir en ce moment à la Maca. Donc, je vous oriente chez le président Bédié. Tout ce que vous avez à me dire, dites-le au président Bédié, il me le portera. Si vous portez votre soutien au président Bédié, c’est à moi que vous le portez. Et comme nous sommes convaincus que le président Bédié est dans un combat juste, on n’a trouvé aucun inconvénient à venir lui apporter notre soutien et lui dire que nous soutenons notre fils Guikahué et que nous sommes derrière lui. C’est ça le combat politique, mais dans tous les cas, il nous reviendra.
Les actions de soutien sont multiformes. Il y a des séances de prières par exemples qui ont lieu dans les églises et les mosquées. Quelles sont les initiatives qu’on peut aujourd’hui énumérer en faveur de la libération du professeur Guikahué ?
Il y a beaucoup d’églises et de mosquées qui sont en prière. Moi-même dans mon église, je demande des prières. Un jour ne passe où il n’y a pas de prière pour la libération de Guikahué. Mais pas seulement pour Guikahué, mais aussi pour Gbagbo, Blé Goudé, pour tous les militaires qui sont en prison parmi lesquels l’Amiral Vagba Faussignaud. C’est notre fils. Il y en a plusieurs comme ça. Mais ce sont des gens qui sont en prison depuis 9 ans. Est-ce que c’est normal. Depuis la crise postélectorale. Dans le cadre de la décrispation, on aurait pu les libérer. A partir du moment où on avait pris une loi d’amnistie pour libérer un certain nombre d’hommes politiques, on aurait pu les libérer. Eux n’ont fait qu’appliquer les ordres des hommes politiques. Si vous libérez les hommes politiques, vous devez les libérer. Donc, c’est pour tous ceux-là que tous les dimanches, dans les églises et tous les vendredis dans les mosquées, il y a des prières pour demander que Dieu les soutienne, qu’il leur donne la santé. Les soutiens sont multiformes et ils se multiplient de jour en jour.
Quel message avez-vous à l’endroit de vos fils en prison, en exil etc et même les autres qui ne sont pas de Gagnoa mais qui aspirent à la liberté totale?
En cette circonstance, je voudrais d’abord remercier tous ceux qui se sont battus. Les patriotes, les Ivoiriens, les partis politiques de l’opposition qui sont arrivés aujourd’hui à une unité qui nous donne espoir en l’avenir de notre pays. A tous ceux-là, on dit merci pour le combat. A Blé Goudé, il n’est pas exclu qu’on lui donne son passeport. C’est le résultat du combat de tous. Le peuple de Gagnoa lui dit merci. Un homme politique avait dit que quand tu fais la politique en Afrique, il faut t’attendre qu’on te mette en prison. Donc, il faut faire la politique sans haine, sans esprit revanchard et c’est dans ces dispositions que nous sommes à Gagnoa. Et c’est dans ces dispositions que nous demandons au peuple de Côte d’Ivoire d’être. Ceux qui ont vécu le martyre, qu’ils pardonnent. Parce que ce qui prime, c’est le pays. Qu’ils pardonnent, qu’ils dégagent la haine de leur cœur. On a la chance que le président Bédié est là, lui qui s’est abreuvé à la source de la sagesse d’Houphouët-Boigny. Il nous apporte l’expérience qu’il a. il fait le holà pour dire quand c’est trop : il faut arrêter. C’est une chance. Chez nous, je parle au nom des chefs de Gagnoa, un adage dit que : on voit des frères faire palabres. La journée, ils s’entre-déchirent. Les gens vont même jusqu’à penser qu’ils ne vont plus s’entendre, qu’ils vont s’entre-tuer. Et puis le lendemain, ceux qui pensaient ainsi sont surpris de les voir ensemble sens dessus-dessous. Et ils se demandent ce qui a bien pu se passer. On les séparait et ils ne voulaient rien entendre. Le plus sage qui est à côté, vous l’entendrez dire : c’est ça le sens du mot frère. Quand on est frères, les problèmes de frères, on les règle au moment où il pleut pour ne pas que les « oreilles » des murs entendent. Il faut que les hommes politiques ivoiriens apprennent à régler leurs problèmes en famille. On peut les régler ici. Il n’est pas interdit de faire palabres, mais c’est comment on règle pour préserver la paix sociale, la cohésion sociale, la réconciliation, la fraternité. Que le président Ouattara ouvre les vannes, que les gens rentrent. Que le président Gbagbo rentre, que tous les exilés politiques rentrent, qu’il libère les gens qui sont en prison. On ne peut pas maintenir des gens en prison pendant toute une gouvernance. Tu vas maintenir les gens en prison pendant 20 ans ? Il faut les libérer et retrouvez-vous autour d’une même table loin des oreilles indiscrètes, des propos de personnes qui sont loin hors du pays et qui ont intérêt à ce que notre pays brûle pour qu’eux, ils en profitent. Qu’ils s’asseyent autour d’une même table et nous les chefs, on va faire l’arbitrage. On va leur rappeler que le pays, c’est la poule aux œufs d’or. Si tu es un homme politique, tu ne peux gouverner que si le pays est en paix. Que les Ivoiriens se donnent la main et qu’ils se disent que personne d’autre ne viendra construire leur pays à leur place.
Interview réalisée par Diarrassouba Sory et Serges Amani
In le nouveau réveil / Vendredi 11 décembre – N°5636 // www.lereveil.net
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