Focus/Politique en Afrique: On se cherche encore, faut-il construire l’Etat ou la démocratie ?
Au début des années 90, l’Afrique subsaharienne avait semblé tourner le dos à une longue période durant laquelle les partis uniques étaient devenus la norme, après la vague des indépendances en 1960. Trente ans après les débuts de la démocratisation dans cette partie du monde, cette libéralisation des régimes politiques, de même que la consolidation de l’État de droit, semblent marquer le pas.
En prenant l’exemple que nous connaissons mieux parce nous y sommes, disons que modification des constitutions pour multiplier les mandats présidentiels, doutes sur la transparence des élections : même si la pratique des scrutins pluralistes est bien installée dans certains pays, les acquis démocratiques restent fragiles.
POUR PIERRE JACQUEMOT, ANALYSTE SUR RFI, EN AFRIQUE, «DES AUTOCRATES VIEILLISSANTS S’ACCROCHENT AU POUVOIR»
« En Afrique, il y a très peu d’alternance au pouvoir », regrette l’essayiste Pierre Jacquemot, qui a été ambassadeur de France en RDC. Dans son dernier ouvrage, « De l’élection à la démocratie en Afrique », paru aux éditions de la Fondation Jean Jaurès, Pierre Jacquemot se penche sur le phénomène des troisièmes mandats et des oligarchies qui s’accrochent au pouvoir. Y aura-t-il en 2021 autant d’élections verrouillées qu’en 2020 ?
LA DEMOCRATIE EST SOUVENT VENUE APRES LA CONSTRUCTION DE L’ÉTAT
Difficile de répondre à cette question sans rappeler d’abord la diversité du continent. Cette diversité a des implications profondes pour le bilan qu’on peut faire sur l’état de la démocratie en Afrique. Les évolutions politiques ont été différentes d’une région du continent à l’autre, et d’un pays à l’autre au sein de la même région. Chaque pays africain a son histoire politique particulière avec des avancées à des moments donnés sur le plan de la démocratie et des libertés, mais avec aussi des reculs.
En Afrique, nous sommes dans la construction laborieuse de systèmes politiques qui soient démocratiques et stables. Cette construction vient à peine de commencer si l’on se situe dans le cadre des États dans leurs frontières actuelles, des États dont les formes politiques ont été largement influencées par les conditions de la colonisation et par celles de la décolonisation. Cela fait partie de l’histoire récente du continent.
L’Afrique centrale subit, peut-être plus que les autres régions, la malédiction de ses ressources, notamment pétrolières. Celle-ci a eu, dès la période coloniale, des implications politiques et géopolitiques importantes. La sélection des leaders politiques au moment des indépendances et juste après dans ces pays a été déterminante pour leur trajectoire politique jusque-là. Ce ne sont pas les élites qui semblaient les plus vertueuses et les plus nationalistes qui se sont imposées. Le clientélisme, l’accaparement des ressources publiques par les clans au pouvoir bénéficiant aussi de soutiens extérieurs, précisément à cause des ressources naturelles essentiellement exportées, ont empêché la démocratie de commencer à s’y installer. La dizaine de pays que compte cette région sont particulièrement riches en ressources naturelles, mais ils sont tous politiquement gelés, avec à leur tête des présidents qui sont en place depuis parfois plusieurs décennies. C’est le cas notamment du Gabon, du Cameroun, de la Guinée équatoriale et du Congo, qui résistent à une réelle démocratisation et à une ouverture durable en matière de libertés. Il y a eu même des reculs sur ce plan.
Au Mali, le problème ne se résume pas à la question démocratique et encore moins à une question de crédibilité des élections. La Cédéao tout comme les acteurs internationaux souhaitent des élections le plus rapidement possible pour élire un nouveau président qui serait légitime. Or, on sait très bien que l’élection ne garantit absolument pas la mise en œuvre des réformes institutionnelles ou une meilleure gouvernance dans le sens de l’intérêt général des populations. Nous savons aussi qu’on ne pourra pas maintenir durablement un système démocratique au Mali sans un État qui soit présent sur l’intégralité du territoire, qui assure un minimum de services publics, à commencer par la sécurité.
Alors, quelle participation aux élections espérer de populations qui vivent dans l’insécurité et n’ont pas accès à un minimum de biens et services essentiels ?
Dans la réalité historique du monde, la démocratie est souvent venue après la construction de l’État et elle est souvent passée par des phases de violences, de reconstruction, de débats, de tâtonnements. En Afrique également, la construction démocratique ne pourra pas se faire sans cette cohérence entre évolution politique, évolution économique et évolution sociale. Nous avons la redoutable tâche de construire en même temps des États organisés et efficaces et des démocraties stables.
Antoine Edo
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