La Côte d’Ivoire et l’APD : «En dépit du volume important des aides, nos problèmes persistent» (Un Prof d’Economie et cadre PDCI France)
La Côte d’Ivoire, première puissance régionale d’Afrique de l’Ouest, se positionne en tête avec un PIB par habitant de 2 250 USD, suivie par le Nigeria (2 200 USD). Dans sa dynamique, il paraît assez légitime que la Côte d’Ivoire aspire à devenir un pays émergent dès 2020. Elle aurait dû, pour cela, réduire la pauvreté, les inégalités qui touchent sa population, mettant tout en œuvre pour favoriser l’emploi des jeunes. Avec ses 26 millions d’habitants, et une croissance économique de 8 % en moyenne par an depuis 2012, la Côte d’Ivoire semble être en capacité de relever les défis de taille qui s’imposent à elle.
Notre pays, partenaire historique du groupe Agence Française de Développement (AFD), est accompagné vers les transitions démographiques, sociales, énergétiques déterminantes pour son avenir.
Rappelons avant tout propos, de façon plus précise, les principaux défis sociaux, économiques et politiques qui s’imposent à notre pays :
• Promouvoir l’emploi des jeunes.
• Améliorer l’offre et la qualité des soins.
• Développer les infrastructures.
• Dynamiser une agriculture durable.
• Améliorer la gouvernance.
• Soutenir le secteur privé
C’est en considération de ces axes que le pays doit orienter ses actions et partenariats. Bien entendu, la France avec ses 0,56% de son PNB (Produit National Brut) en 2020, n’est pas l’unique et principal contributeur de l’aide publique au développement (ou APD). Par l’APD, on entend l’ensemble des aides financières, prévues au budget des États donateurs, et transférées aux pays en voie de développement sous forme de dons ou de prêts avec facilités de paiement. Aujourd’hui, loin derrière les États-Unis (35 milliards $USD), le Japon (14 milliards $) se classe meilleur contributeur de l’APD devant la France (12 milliards $). Ce qui peut surprendre pour un pays qui se veut partenaire privilégié de ses ex-colonies.
Il convient de souligner que l’aide étrangère se répartit, selon le type de donateur, en trois grandes catégories :
• L’aide bilatérale qui s’effectue entre deux Etats,
• L’aide multilatérale ou aide des institutions internationales,
• L’aide des organisations non gouvernementales ou l’aide privée. Pour nos actions de développement en Côte d’Ivoire, qui devraient être purement endogènes, susceptibles de bénéficier de l’APD, notre analyse conduit à les examiner selon différents niveaux :
La promotion de l’emploi des jeunes
Dans un pays où 42 % des habitants ont moins de 15 ans, l’éducation et la formation devraient représenter des enjeux cruciaux et le chômage constituer l’une de nos plus grandes inquiétudes.
L’AFD, en soutenant le système éducatif ivoirien dans son ensemble, agit par substitution sur plusieurs plans, poursuivant ainsi 5 objectifs :
• Réduire l’analphabétisme et renforcer l’acquisition de compétences (réforme des collèges),
• Mieux répondre aux besoins des entreprises ivoiriennes (notamment dans le bâtiment et travaux publics, l’agro-alimentaire et la maintenance),
• Favoriser l’entrepreneuriat via des stages et l’apprentissage,
• Moderniser l’enseignement supérieur et la recherche scientifique : mise en place du système licence-master doctorat, appui à l’Institut national polytechnique Houphouët Boigny,
• Favoriser l’accès des populations marginalisées à l’éducation et à l’emploi, notamment les filles.
En effet, à partir de 2015, le gouvernement a entamé une réforme importante du secteur de l’emploi en créant l’Agence Emploi Jeunes (AEJ), véritable guichet unique pour toutes les questions d’emploi des jeunes. L’emploi des jeunes demeure une priorité de la politique gouvernementale qui vise à accroître sensiblement le nombre de bénéficiaires de mesures d’accompagnement.
Bien que ce soit de cette manière que nous assurerons une croissance inclusive pour favoriser l’insertion professionnelle des jeunes, il est impératif d’évaluer et d’établir des bilans d’étape pour estimer l’efficience des actions impulsées. Et c’est bien cette carence que nous reprochons au pouvoir en place.
Dans une vue plus globale, si nous nous penchons sur les grandes réformes conduites dans le cadre de notre programme national de développement (PND) ces cinq dernières années, avec l’objectif de stimuler la croissance et de transformer structurellement notre économie pour accéder au statut tant convoité de pays émergent en 2020, nous nous apercevons des échecs de l’Etat.
Hormis les effets d’annonce auxquels nous avons été habitués, commençons par nous intéresser au chômage des jeunes, la pauvreté qui touche plus de 46 % des Ivoiriens et les fortes inégalités d’accès aux services sociaux (éducation et santé) à ce jour, ces objectifs sont loin d’être atteints.
L’offre et la qualité des soins :
Sur ce volet, la Côte d’Ivoire enregistre encore une mortalité maternelle et infantile élevée. Les causes se résumeraient à une qualité insuffisante des soins de santé, une pénurie de personnel qualifié, d’équipements, et le manque d’accessibilité des services, notamment en milieu rural. L’AFD, en s’investissant dans notre système de santé pour améliorer la santé de nos populations les plus vulnérables, contribue au renforcement des ressources humaines paramédicales, enrichissant, de façon substantielle, l’offre de médicaments pour améliorer les soins de santé maternelle et infantile.
Concernant les infrastructures, fierté de notre gouvernement :
Leur développement vise à une circulation améliorée. Nos infrastructures de transport ivoiriennes, bien qu’importantes, ont été construites au cours des années 60 et 80. Leur modernisation est une priorité du Plan national de développement de l’État. L’AFD est aussi engagée en finançant, entre autres, la réhabilitation de l’autoroute du Nord, sur 230 km, celle du Pont Houphouët Boigny à Abidjan et la construction de 14 ponts métalliques sur des axes ruraux.
Les capacités des principaux acteurs du secteur, comme l’Ageroute et le Fonds d’entretien routier ont été renforcées dans cette optique. Masi c’est à regret qu’on peut constater le dévoiement des fonds alloués.
Quant au volet eau potable pour tous : l’AFD a permis à près d’un million de personnes de pouvoir bénéficier de programmes d’urgence. À Abidjan, les efforts ont porté sur la production et les réseaux de distribution, et le branchement de 23 000 ménages. Le pays est également accompagné dans la gestion intégrée des ressources par le financement de l’installation d’un réseau piézométrique pour surveiller la nappe d’Abidjan.
Pour les campagnes électrifiées : L’accès à l’électricité en milieu rural est une priorité affichée par l’Etat. L’objectif est de raccorder l’ensemble des localités de plus de 500 habitants. L’AFD, par son soutien, a financé le raccordement de 350 localités, doublé d’une campagne de branchements sociaux de 130 000 ménages. En outre, on notera que l’AFD a accompagné la réhabilitation du barrage de Buyo pour une plus grande capacité de production.
Vers une Côte d’Ivoire « connectée » : Afin d’améliorer l’accès des Ivoiriens à Internet, l’AFD, en partenariat avec l’Agence Nationale du Service Universel des Télécommunications (ANSUT), a permis le déploiement d’un réseau de 5 000 km de fibre optique sur l’ensemble du territoire.
Pour une agriculture durable :
Nul n’ignore que le secteur agricole joue un rôle clé dans notre économie (28 % du PIB).
Le développement agricole de notre pays s’est souvent fait au détriment de la préservation des ressources naturelles. Le domaine forestier et le réseau d’aires protégées sont les premiers touchés et connaissent une dégradation alarmante.
Ce qui justifie la nécessité de filières agricoles durables :
La Côte d’Ivoire n’est pas exempte au changement climatique. Ses effets menacent la sécurité alimentaire de la population et l’activité d’exportation de produits agricoles.
Par des actions dans le domaine de l’irrigation, du foncier, du conseil en gestion et de la sécurité sanitaire, l’AFD promeut des changements de pratiques agricoles et de gestion des ressources, avec de réels bénéfices pour la population.
Pour accroître les filières et les cultures d’exportation, l’AFD a réhabilité plus de 5 000 km de pistes rurales et fourni 10 000 paires de bœufs et matériels d’attelage pour la filière coton.
L’amélioration de la gouvernance :
Elle devrait se décliner, autour de 3 axes :
• La gouvernance économique et financière,
• La gouvernance institutionnelle et citoyenne,
• La gouvernance territoriale.
Les exigences qui en résulteraient devront alors être :
• Un État de droit et justice tout en les droits de l’Homme.
• La réforme de l’État et l’appui institutionnel afin de préparer la décentralisation et de renforcer le système d’état civil.
• La gestion des finances publiques.
Le soutien du secteur privé :
L’AFD, mesurant le dynamisme des entreprises ivoiriennes, entend encourager la viabilité du secteur de la micro-finance. Par cette volonté, elle favorise ainsi l’accès au financement des PME et des institutions de micro-finance (IMF) en apportant la garantie de partage de risque.
Pour promouvoir les projets « verts » ou à impact social, l’AFD agit aussi via des prêts aux entreprises privées. Nous pouvons citer la ligne de crédit mise en place en 2015 avec la SGBCI, pour financer des projets d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique.
Tous ces chantiers ne démontrent-ils pas notre forte dépendance de l’aide internationale ? Nous pouvons ainsi comprendre combien notre endettement pèse sur nos capacités d’investissement.
Depuis soixante ans, les pays occidentaux dépensent des sommes importantes pour accélérer le développement des pays dits en développement. Les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances et il est plus que temps de se poser la question de la pertinence de cette politique d’aide au développement.
Nous devrons, pour cela, nous intéresser légitimement aux limites de l’APD :
Le flux d’APD va croissant. Cependant, son efficacité est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté internationale.
L’APD est-elle correctement évaluée ? Est-elle conditionnelle ? Et sert-elle réellement d’appui aux politiques de développement ?
Nous constatons, pour notre part, qu’en dépit du volume important des aides que notre pays reçoit, nos problèmes persistent. Ce contraste doit nous motiver à réfléchir sur les problèmes de l’aide publique au développement.
Les raisons de l’échec peuvent être de plusieurs ordres, mais nous n’en retiendrons que deux, à savoir d’une part, le centralisme excessif des ressources humaines et matérielles, avec comme résultat des rendements faibles, un manque de transparence et une mauvaise circulation de l’information et d’autre part, le déficit de coordination des partenaires techniques et financiers (réduire le circuit de passation des marchés publics dans des procédures transparentes, en limitant tous les effets de corruption).
Lacisse ABDOU
Cadre PDCI Délégation Lyon-Ouest (France)
Professeur d’Economie et Gestion, Académie de Lyon (France)
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