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Côte d’Ivoire: Jean-Baptiste PANY (banquier et sénateur) dévoile les dangers de l’orpaillage sur le cacao ivoirien… «On produit pour nourrir l’Etat et appauvrir le planteur»

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L’auteur du livre intitulé « le cacao profite-t-il encore à la Côte d’Ivoire » Jean-Baptiste Pany, cadre de banque et sénateur de la région du Gbôklè  a remis en cause « le modèle économique » du cacao ivoirien dans une interview à ALERTE INFO.

Vous avez publié un livre intitulé « le cacao profite-t-il encore à la Côte d’Ivoire», quel regard portez-vous sur le cacao ivoirien et la situation des planteurs ?

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Depuis 1878, quand l’on introduisait le cacao en Côte d’Ivoire, nous sommes restés sur la même trajectoire. Lorsque, Arthur Verdier – c’est lui le précurseur du cacao – introduisait le cacao en Côte d’Ivoire, c’était pour trouver des ingrédients pour l’industrie européenne, notamment pour l’industrie française. Pour ce faire, il forçait nos parents à faire du cacao afin de pouvoir alimenter la métropole. Lorsque la Côte d’Ivoire est devenue colonie française, l’objectif n’a pas changé. Le colon s’est approprié nos parents pour faire du cacao. Ils sont forcés au départ, puis plus tard encouragés à faire du cacao pour les besoins de la colonie, donc pour faire vivre l’administration coloniale. Lorsque nous avons eu l’indépendance, rien n’a changé, l’on a continué à subventionner les paysans pour faire du cacao pour les besoins de l’administration nouvelle qui se mettait en place. Jusqu’à ce jour, l’on pousse nos parents à faire du cacao pour alimenter les caisses de l’Etat. Alors du coup, l’on s’est éloigné de l’essentiel. Nous faisons certes du cacao, mais celui qui produit ce cacao importe très peu. L’objectif principal retenu, c’est de nourrir les caisses de l’Etat. Avant notre époque, l’objectif était de nourrir les caisses de la colonie. Mais aujourd’hui, c’est de nourrir les caisses de l’Etat, cela n’a donc pas changé. On a laissé quasiment de côté les paysans. Le paysan est resté misérable. L’on lui donne quelques subventions pour le maintenir dans la filière parce qu’il ne sait pas où aller.

Mais comment pouvez-vous expliquer cette situation ?

J’ai fait une balance dans le livre que j’ai eu à écrire. La Côte d’Ivoire tire globalement quatre sinon six avantages de sa filière cacao. Premier avantage, parce que nous sommes premier producteur au monde, le cacao est pour nous un prestige international. C’est important de le dire parce que ce prestige nous ouvre des portes, notamment lorsque nous devons emprunter sur le marché international. Deuxième avantage, le cacao nourrit le PIB de la Côte d’Ivoire. Précédemment il rapportait 30% à 45%, aujourd’hui, nous sommes autour de 13% à 15%. Donc le cacao apporte des revenus globaux à l’ensemble des revenus du pays. Troisième avantage, la Côte d’Ivoire plante du cacao pour nourrir les caisses de l’Etat, c’est environ 500 milliards de FCFA de contribution directe que le cacao apporte au budget de l’Etat. En tout cas le chiffre oscille entre 500 et 800 milliards de FCFA, la contribution directe du cacao au budget de l’Etat, sans compter la contribution indirecte qu’il apporte en termes de devises aux autres secteurs d’activité économique pour leur permettre de fonctionner et de payer également des taxes à l’État. Quatrièmement, le cacao nous rapporte des devises. Or, sans devises (monnaiesétrangères), nous ne pouvons rien acheter à l’extérieur. Il faut savoir que selon les statistiques de la BECEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest) les devises que rapporte le cacao servent à couvrir nos besoins d’importation à hauteur de 55%. Voici ce pourquoi la Côte d’Ivoire plante du cacao. Lorsque vous analysez cette situation, est-ce que vous y voyez le paysan ? Non. Pourtant, c’est lui le fermier qui cultive le cacao.

Est-ce à dire que le modèle économique de la filière est à la base de la paupérisation des paysans ?

Tout part de là, parce que c’est tout le modèle économique du cacao qui n’est pas bon à la base. La production, la valorisation des produits, la commercialisation des produits, le financement des produits, il faut tout reprendre, sinon l’améliorer. Lorsque nous cultivons le cacao en Côte d’Ivoire, cela nous conduit à détruire des forêts, uniquement pour aller chercher la fève de cacao. C’est la fève qui nous intéresse. Le reste ne nous intéresse pas. En conséquence, nous détruisons quatre millions d’hectares de forêt uniquement pour rechercher la fève de cacao pour les besoins budgétaires de l’État. Quand vous allez sur les chiffres du ministère des Eaux et forêts, la Côte d’Ivoire à son indépendance si je ne me trompe pas, avait 16 millions d’hectares de forêt. Aujourd’hui il ne nous en reste qu’environ deux millions de reliques de forêts. Concernant les forêts classées, nous avions quatre millions d’hectares à l’origine. Actuellement, c’est moins de 500.000 hectares qu’il nous en reste. Lorsque vous appliquez le taux de destruction de nos forêts classées qui est de 60.000 hectares par an, d’ici 2030 (dans 9 ans) on aura plus de forêts classées en Côte d’Ivoire. C’est cela la réalité.

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Quel modèle économique serait-il adapté pour le cacao ivoirien selon vous ?

Quand on fait un bon diagnostic, le cacao souffre de plusieurs maux en Côte d’Ivoire. L’une des difficultés est un risque de réputation. C’est-à-dire que notre cacao est accusé de valoriser le travail des enfants, notre cacao est aussi accusé de déforestation. Il y a de même un risque dont on ne parle pas souvent, c’est l’orpaillage clandestin, c’est très lié. L’orpaillage clandestin se développe en effet dans le sillage du cacao, notamment dans les forêts classées, à l’abri des regards de notre administration. Les orpailleurs clandestins creusent des trous partout y compris dans les champs de cacao. Ainsinous détruisons déjà physiquement les champs de cacao, mais chimiquement, nousrisquons de détruire également les récoltes de cacao ivoirien. Parce que l’orpaillage se fait avec des métaux lourds dont le cyanure, le mercure et d’autres métaux qui sont utilisés pour détacher les pépites d’or de la boue. C’est du poison le cyanure, c’est du poison le mercure. Le mercure c’est encore plus grave. Souvenez-vous de la maladie de Minamata au Japon au sortir de la deuxième guerre mondiale qui a causé des dégâts. C’est l’une des raisons qui a d’ailleurs amené l’ONU à règlementer l’usage des métaux lourds. Mais aujourd’hui dans nos forêts, l’on utilise impunément cela au risque de porter un coup à notre produit stratégique. Imaginez-vous une seule fève, je n’ai pas dit dix tonnes, mais une seule fève de cacao contaminée au cyanure, ou au mercure, qui se retrouverait au Etats-Unis, en France, en Hollande ou en Allemagne, que croyez-vous qu’on va faire du cacao ivoirien ? C’est pourquoi, pour lutter contre tous ces risques et contre la pauvreté, à mon avis il y a des décisions à prendre. La première décision, c’est de professionnaliser les agriculteurs, ils doivent être des professionnels. Cela veut dire que n’importe qui ne peut plus faire du cacao en Côte d’Ivoire. Pour faire du cacao, il faut avoir un agrément qui sera donné par l’Etat.

Quels avantages peuvent-ils tirer de la professionnalisation ?

L’avantage de les professionnaliser, d’abord, on peut les connaître. Aujourd’hui, on ne les connaît pas. L’an dernier, le Conseil du café-cacao a gaspillé six milliards de nos ressources pour les compter, ça fait 24 mois qu’on attend, on n’a pas encore le résultat. La professionnalisation permet de les connaître. Deux, de mieux adresser leurs problèmes. Trois d’éviter tous les risques de réputation. Parce que celui qui sait que l’un des critères pour avoir l’agrément, c’est de ne pas faire la promotion du travail des enfants, du pillage des forêts classées, de l’orpaillage clandestin, c’est sûr qu’il ne va pas plus le faire.

En retour, le cacao doit être capable de servir au planteur, un salaire et une retraite décents, ainsi qu’une assurance maladie appropriée. Sur cet objectif de professionnalisation, c’est de réduire le gap entre la recherche et la réalité sur le terrain donc amener les paysans à faire plus de cacao à l’hectare, améliorer les rendements. De ce fait, le planteur qui faisait 0,5 tonne sur 3 hectares, pourra passer de 1,5 tonnes à 9 tonnes sur ses trois hectares (moyenne nationale). Si nous restons sur les mêmes variables de prix à 1.000 FCFA le kilogramme. Là où il touchait 1,550 million FCFA par an, il touchera désormais 9 millions.

Est-ce suffisant pour remédier aux problèmes des paysans ?

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Il ne faut pas se limiter à cela parce que se limiter à ça, c’est toujours continuer la promotion de la fève en milieu paysan. Je ne suis plus pour la promotion unique de la fève parce que la Côte d’Ivoire en a fait suffisamment. Il faut aller désormais au-delà de la fève de cacao en milieu paysan. Dans les localités que j’ai eu à visiter, ce sont des plantations monoculture que l’on y trouve. C’est dire qu’il faudra certes optimiser les rendements, mais aussi optimiser les surfaces. Pour moi ne serait-ce que planter à la lisière des champs de cacao des pieds de citron ou de cola sans avoir à défricher de nouvelles parcelles permettrait au paysan de se retrouver toujours avec ses mêmes trois hectares (moyenne nationale), mais en plus avec ses trois hectares, il aura un hectare de citron ou de cola. En procédant ainsi, vous diversifier les revenus des paysans, vous améliorer ses revenus parce que désormais, il vendra du cacao pour gagner plus d’argent, et il vendra aussi du citron ou de la noix de cola, pour gagner encore plus d’argent. Toujours en restant sur la plantation, au lieu de valoriser la fève de cacao, il n’y a pas que la fève seulement. Les paysans jettent encore les cabosses vides de cacao quand ils ont fini de les utiliser, faute de débouché. Selon mon estimation, nous sommes à environ 80 milliards de cabosses qui sont jetées chaque saisonet qui correspondent aux deux millions de tonnes que nous mettons sur le marché actuellement. Ce sont 80 milliards de matières premières qui peuvent servir à faire beaucoup de choses. On peut faire du compost surtout, ça peut alimenter l’industrie de la potasse aussi. Lorsqu’on fermente le cacao, le jus frais de fermentation qui en résulte est aussi jeté, pourtant ce jus de fermentationest très riche en aliments. Mais il n’est pas valorisé. Or en le valorisant ceci permettra de vendre la fève de cacao, la cabosse de cacao, et le jus frais de fermentation. Vous voyez les opportunités pour les paysans, c’est sur cela que le Conseil doit travailler au lieu d’aller faire des forages ou construire des routes. Ce n’est pas son rôle. Les dirigeants de cette structure utilisent 179 milliards de FCFA (cumul de 8 ans) et d’autre ressources allouées chaque année pour son fonctionnement et la mise en œuvre de projets à faible portée. Ça sert à quoi ces 179 milliards de FCFA ?

Ensuite, il y a un deuxième niveau qu’il faut améliorer. Il faut mettre l’accent sur l’artisanat et la formation. L’artisanatest une mine que nous négligeons. Il nous faudra en conséquence repenser notre approche de ce secteur et développer l’artisanat. Il faut mettre en place des écoles de formation à tous les niveaux. Cette approche va aider à freiner le phénomène du travail des enfants et le chômage. Il faut mettre des structures de formation en place pour former ceux qui vont tirer demain les débouchés du cacao. En restant sur la seule filière du cacao nos débouchés ne sont pas seulement dans le chocolat, malheureusement, on associe trop souvent la cabosse de cacao à la seule plaquette de chocolat, c’est l’erreur que nous avons eu à faire depuis 1878. Les filières il y a n’en plusieurs, mais je me focalise sur celles des produits cosmétiques, de la confiserie de la savonnerie, et de la pâtisserie et de la chocolaterie. Si nous formons chez nous des artisans en cosmétiques, en savonnerie, en pâtisseries ou en chocolaterie, ce sont eux qui vont transformer demain nos produits. En Afrique par exemple toutes nos femmes aiment les produits cosmétiques, si nous les fabriquons chez nous, nous profiterons des opportunités d’un marché domestique très vastegrâce au marché communautaire de la CEDEAO.

Avec Alerte info


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