Crise dans l’appareil judiciaire ivoirien: Raymond Flan insiste sur la légitimité de la grève des greffiers et ses graves conséquences
Le président de l’union nationale des greffiers de Côte d’Ivoire (UNAGCI), Raymond Gnranka Flan, a rendu publique une lettre ouverte adressée au chef de l’Etat, Alassane Ouattara, ce lundi 31 janvier 2022, pour insister sur la légitimité de leur grève ainsi que ses dangers. Base légale de la fonction, importance du greffier et les conséquences de la grève du Greffe. Tout y passe. Suivons !
*BASE LEGALE D’EXERCICE DE LA PROFESSION DE GREFFIER*
La loi Nro 61-155 du 18 mai 1961 portant organisation judiciaire modifiée par les lois nro 64-227 du 14 juin 1964 et 97-399 du 11 juillet 1997, nro 98-744 du 23 décembre 1998 et nro 99-435 du 6 juillet 1999 institue le Greffe en tant que 3e service des Juridictions après le Siège et le Parquet. Ledit service dirigé par un Greffier en Chef comprend l’ensemble du personnel non magistrat c’est-à-dire les Greffiers et tous les autres agents fonctionnaires ou rattachés à la juridiction par un contrat de travail.
Les Greffiers, conformément à l’article 71 de la constitution de 2000 bénéficient d’un statut, dit particulier, consacré par la loi nro 2015-492 du 07 juillet 2015. Cela signifie que toutes les questions régissant la vie du Greffier sont déterminées par ce texte dérogatoire de la loi de 1992 relative à la fonction publique. Toutefois, le texte portant sur la fonction publique demeure le droit commun à tous les fonctionnaires y compris ceux bénéficiant d’un statut dit particulier.
*L’IMPORTANCE DU GREFFIER DANS LE SYSTEME JUDICIAIRE.*
Le Greffier, Maître et témoins légal des Procédures Judiciaires (Partie 1)
Il se trouve que le peuple ivoirien a toujours eu le plaisir d’affirmer dans toutes ses constitutions :
-sa détermination à bâtir un État de droit dans lequel les droits de l’homme… la justice… sont promus, protégés et garantis ;
-son attachement profond à la légalité constitutionnelle ;
Cela implique donc un procès équitable fondé sur le droit positif.
Mais comment garantir l’équité et l’équilibre de la balance dans le fonctionnement de la justice si le juge qui est un humain détient tous les pouvoirs ? L’égo et l’histoire des hommes ne nous ont-ils pas contraints à convenir avec Montesquieu que tout homme qui a du pouvoir est susceptible d’en abuser?
C’est ce triste constat qui a justifié l’institution d’une personne neutre et totalement indépendante tant à l’égard des parties que du juge au procès.
La Côte d’Ivoire ayant donc hérité de la législation du colon, nous avons, depuis l’indépendance légale et judiciaire, toujours relevé l’assistance du Tribunal par le Greffier.
Qu’entend-on par assistance?
Loin d’être un Secrétaire comme pourraient le penser les profanes, le Greffier est le témoin de la procédure. En d’autres termes, il est chargé à l’audience de noter les déclarations des parties et le déroulement de la procédure. Il est celui là même qui a le pouvoir de démontrer si le juge a dit ou non le droit, si le juge a suivi la procédure telle qu’édictée par la loi. On dit qu’il est le « JUGE DU JUGE ». Étant donc un témoin prévu par la loi, on l’appelle TÉMOIN LÉGAL. Contrairement au secrétaire (puisque c’est ce qu’on veut faire croire) dont l’absence ou la présence n’a aucun incident sur la décision de celui avec qui il travaille, la présence du Greffier a pour mérite de donner à la décision du juge toute sa légalité et sa force juridique. On dit qu’il authentifie la décision de par l’apposition de sa signature. Autrement dit, si le Greffier n’est pas présent, la décision ne peut être valable et donc frappée de nullité.
*LE GREFFIER, MAITRE ET TEMOIN LEGAL DES PROCEDURES JUDICIAIRES (PARTIE 2)*
Qu’implique donc la notion de témoin légal ?
Comme rappelé plus haut, le témoin légal doit présenter une certaine indépendance tant à l’égard de l’affaire et des parties qu’à celui du juge pour garantir une procédure légale et équitable. C’est ce qui a été rappelé à juste titre par le législateur dans le chapitre 5 section 1 article 35 de la loi portant statut des Greffiers.
*GREVE DU GREFFIER ET SERVICE MINIMUM*
En sa qualité de travailleur du secteur public, la constitution de 2000 en son article 18 et la constitution de 2016 en son article 17 lui octroient le droit syndical et le droit de grève. Allant dans ce sens, la loi organique de 2015 va à travers son article 41 confirmer ce droit en laissant au Président de la République la charge de déterminer par décret les modalités d’exécution du service minimum.
Conformément donc aux textes en vigueur, les Greffiers faisant face au mépris du Garde des Sceaux, après plusieurs mois de patience infructueuse et d’indifférence, se sont résolus à aller dès le 27 janvier 2022 à une grève de 03 jours reconductibles à la suite d’un préavis déposé le 20 janvier 2022.
Les Greffiers à l’unanimité (ce qui est une première dans l’histoire du Greffe et certainement même dans celle de la fonction publique) ont donc entamé une grève fondée sur 03 points de revendications dont je vous ferai l’économie.
Les Greffiers en chef sont au service. Ils assurent le service dit minimum bien qu’aucune disposition ne détermine les modalités d’exécution de ce service minimum dans le Greffe puisque jusqu’à ce jour aucun décret n’a été pris en vue d’appliquer ce point de l’article 41. Et encore moins le décret de 1995 portant exécution du service minimum ne mentionne en son article 1er le corps du Greffe. Tout porte à croire qu’il y a un vide juridique en l’espèce.
*INSECURITE JUDICIAIRE : LES COMMISSAIRES DE JUSTICE NE PEUVENT PAS ETRE DES GREFFIERS AD-HOC*
Contrairement aux dispositions du chapitre 2 de la loi portant statut des Greffiers et de celles de l’article 18 de son décret d’application, les Commissaires de justice n’ayant pas observé les conditions de recrutement et de formation pour acquérir la qualité de Greffier, ne peuvent valablement répondre aux questions de légalité qu’impliquent l’exercice par eux de cette fonction… d’où sort-on donc la notion de Greffier Ad hoc ?
Que dire de l’équité et de l’impartialité qui justifie la présence des Greffiers au cours de la procédure ? La suppléance du Greffier par le commissaire de justice, c’est-à-dire d’un fonctionnaire par un titulaire de charge sans observer les textes relatifs à son recrutement et à sa formation, expose les parties à un procès déséquilibré d’avance. Ainsi, le commissaire de justice qui a instrumenté une procédure (au début de la procédure pour son client), est le même qui assure la tâche de témoin légal et qui pour finir procède à l’exécution de la décision. Autrement dit, il est au début, pendant et à la fin de la procédure. Il faut donc croire que le législateur qui a énuméré les cas d’incompatibilité du Greffier pour garantir un procès équitable est le même qui a autorisé le commissaire de justice a siégé à une audience où il est susceptible d’être intéressé.
Nous assistons donc visiblement à l’avènement d’une insécurité juridique.
Pour exécuter ce texte illégal, il a été ordonné aux chefs de juridiction de forcer les portes des bureaux des Greffiers pour soit installer les Commissaires de justice, soit mettre les dossiers et les registres à leur disposition. Cette situation a le mérite d’attirer l’attention de tous et d’inquiéter chaque acteur du monde judiciaire et même des justiciables.
En effet, en 2021, le Garde des sceaux, Ministre de la justice a pris une circulaire dans laquelle il dénonçait la disparition de pièces dans certains dossiers et même des dossiers entiers. Comment pourrait-il donc régler ce problème si des personnes autres que les responsables des dossiers, des personnes susceptibles d’être intéressées par des dossiers ont accès à des bureaux par effraction avec la bénédiction du Ministre ?
Une question qui inquiète tout le corps du Greffe et qui devrait inquiéter toute la population ivoirienne
*SOIT… LE VIN EST TIRE. BUVONS-LE!!!*
L’activité du Greffier comme on a tendance à le faire croire ne se résume pas à l’audience car avant et après les audiences, le Greffier effectue les 90 % de ses diligences. C’est pourquoi il est très souvent le dernier à quitter le bureau après les audiences.
Les Greffiers se demandent donc comment des personnes qui n’ont pas été régulièrement recrutées, qui n’ont subi aucune formation pourraient exécuter des tâches dont parfois il faut au moins 05 ans d’expérience pour les maîtriser…
C’est inquiétant.
*COMMISSAIRE DE JUSTICE EN TANT QUE GREFFIER AD-HOC EN VIOLATION DE LA CONSTITUTION IVOIRIENNE*
Rappelons qu’en 2018, une loi combinant les professions des huissiers de justice et des Commissaires priseurs en une seule profession de commissaire de justice a été adoptée par nos parlementaires.
Les Commissaires de justice sont donc des officiers publics et ministériels qui exercent une profession libérale (à titre privé) et contribuent à l’œuvre de la justice bien que la loi ne leur reconnaisse pas explicitement le statut d’auxiliaires de justice. Autrement dit, ils reçoivent des clients qui les paient pour une prestation. Il existe donc des rapports de particuliers entre eux et ceux qui sollicitent leur ministère. Étant des titulaires de charges, ils sont rattachés aux juridictions. Ils sont assistés dans leur ministère par des clercs dont les attributions sont déterminées par la même loi de 2018 portant statut des commissaires de justice.
Ainsi, n’ayant pas la qualité de fonctionnaire, les attributions des Commissaires de justice dans leur rapport avec le tribunal se résument brièvement en l’établissement des actes de saisine du tribunal et en l’exécution des décisions rendues au nom et pour le compte de leur client. En d’autres termes, ils interviennent avant que le dossier n’entre au tribunal et dès que la décision est rendue. Ce qui signifie que pendant le cours de la procédure, ils n’ont plus le droit d’intervenir parce qu’ayant instrumenté pour l’une des parties. Il va sans dire que pour sa notoriété et son bénéfice, le commissaire de justice mettrait tout en œuvre pour que la balance soit penchée de son côté.
Contre toute attente, les Commissaires de justice sont requis par les procureurs généraux. Donner au Procureur Général le pouvoir de réquisitionner un auxiliaire de justice privé (Installé à son propre compte) pour suppléer un fonctionnaire de l’État est une violation flagrante et grossière du principe de séparation des pouvoirs en Côte D’Ivoire. Vous comprenez le drame et l’inquiétude qui pourraient emplir les cœurs des hommes de droit et même des justiciables.
Il convient de préciser que contrairement au projet de loi qui a été adopté en conseil des Ministres, tous les acteurs de la justice et même les intéressés se sont vu surpris de constater une disposition qui a le mérite d’interpeller tous les acteurs de la justice : il s’agit de l’article 2-4 de ladite loi sur lequel la réquisition des Commissaires de justice est fondée. Cette disposition donne aux commissaires de justice le pouvoir de suppléer les Greffiers en cas de grève. On les qualifie de Greffiers Ad hoc. Cette notion a cependant disparu du lexique des Greffiers depuis la loi de 2015.
Relevons qu’en 2018, dès l’entrée en vigueur de cette loi, le texte incriminé a exacerbé le courroux des Greffiers notamment en raison de l’idée inconvenante qui a sous-tendu cette disposition et qui se confirme depuis ce 27 janvier 2022.
En effet, cet article 2-4 a été adopté en vue de retirer aux Greffiers le droit de grève. Or, ledit droit est prévu par le bloc constitutionnel ivoirien. Ce qui pose la question de sa constitutionnalité. Une norme postérieure, bien que de même valeur que la norme antérieure doit être conforme à cette dernière si celle-ci est elle-même conforme à la constitution. Or, il se trouve que la loi de 2015 portant le statut des Greffiers est conforme, en tout cas en ce qui concerne le droit de grève, à la constitution. Partant de ce fait, l’article 2-4 se présente comme non conforme aux dispositions de la constitution.
La violation du droit constitutionnel est-elle une réponse crédible, sérieuse à apporter à une grève de la part d’un ministre de la justice ?
*LES JURIDICTIONS SONT FERMEES, TOUS LES GREFFIERS SONT SOUDES ET DETERMINES*
Les juridictions sont fermées… En tout cas, les Greffes ont mis la clé sous le paillasson. Tous les actes juridictionnels qui y sont posés ne sont pas réguliers. Et nous en avons tous conscience, tous les juristes autant que nous sommes. En ce qui concerne les actes administratifs et financiers, leur complexité devrait requérir le bon sens des Commissaires de justice pour éviter de mettre les justiciables dans d’autres difficultés en plus de celles engendrées par la grève des Greffiers.
Le Greffier est un acteur incontournable de la justice. Même si des textes tendent à le dépouiller de ses pouvoirs, sa présence est et sera une exigence, en tout cas tant qu’on parlera de justice. Il serait donc raisonnable d’ouvrir les négociations pour le bien être de nos concitoyens. »
Vagoné Dry-Bi
Sauf autorisation de la rédaction ou partenariat pré-établi, la reprise des articles de africanewsquick.net, même partielle, est strictement interdite. Tout contrevenant s’expose à des poursuites.
En savoir plus sur AFRICANEWSQUICK
Subscribe to get the latest posts sent to your email.