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Message du Président de la République sur l’état de la nation: « Tout ça pour ça ? » Un décryptage de Yao Séraphin KOUAME

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Ouattara ADO a Paris
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C’est la deuxième fois que le Président de la République, Chef de l’Etat, s’adresse aux Ivoiriens devant le Congrès, plus de deux ans après le premier rendez-vous du jeudi 05 mars 2020. Ce discours prononcé par SEM Alassane Ouattara devant les députés et sénateurs réunis, le mardi 19 avril 2022, à l’auditorium de la Fondation Félix Houphouët-Boigny de Yamoussoukro, était particulièrement attendu par l’opposition significative. S’il faut saluer l’initiative en ce qu’elle peut contribuer à asseoir l’application de l’article 98 de la Constitution de 2016 comme une véritable institution républicaine et démocratique, on ne peut s’empêcher de relever que le discours pêche au moins sur trois points.

Premièrement, certes le Président met fin à la gênante vacance de la vice-Présidence de la République, mais force est de constater qu’il n’utilise pas la bonne procédure, violant ainsi un énième fois la Constitution. En effet, aux termes de l’article 55 alinéa 2 de notre Loi fondamentale, le Président de la République « choisit un vice-Président de la République, en accord avec le Parlement ». En dépit de l’effort surhumain du communiqué de la Présidence de la République faisant état d’un accord du Parlement, la vérité est que les députés et sénateurs n’ont jamais exprimé leur consentement pour la nomination de Monsieur Tiémoko Meyliet Koné en qualité de vice-Président de la République de Côte d’Ivoire. Un accord des parlementaires aurait supposé nécessairement un vote des représentants du Peuple dont les résultats auraient été consignés dans un rapport formel. Ce ne fut pas le cas. Les acclamations des députés et sénateurs auxquels se mêlaient d’ailleurs celles des invités parmi lesquels la chefferie traditionnelle, les ambassadeurs accrédités par notre pays, les membres du corps préfectoral et du Gouvernement sortant ne peuvent en aucun cas être considérées comme un accord du Congrès. Il ne s’agissait tout au plus qu’une réaction polie à l’information donnée par le Président dont la portée se limitait à saluer le mérite de l’heureux désigné. Au final, il y a eu information du Parlement par le Président de la République, mais pas d’accord du Parlement. Ce sont deux terminologies avec des sémantiques bien différentes. En se rappelant du cas de Monsieur Daniel Kablan Duncan, il y a lieu de craindre que cette mauvaise pratique devienne une tradition.

Deuxièmement, le Président de la République porte son choix sur un nordiste, comme lui. Il n’y aurait pas eu matière à débat et la seule compétence du nouveau vice-Président aurait suffi si notre pays avait pu retrouver son unité d’antan, après trois décades de déchirure ethnico-régionale. Malgré son goût amer pour la réconciliation nationale, la pilule du rattrapage ethnique au sommet de l’Etat aurait pu être avalé si en plus des deux postes les plus élevés de l’Etat, le gouvernement n’avait pas lui aussi ce fort parfum nordique et exclusionniste. En comptant les ministres à la Présidence, on se retrouve avec 26 ministres sur 37, soit un taux de 70% pour la seule région du Nord contreseulement 30% pour les 4 autres régions du pays (Centre, Ouest, Sud et Est) de loin plus peuplées. Ce renforcement du rattrapage ethnique est une négation de la réconciliation nationale et du dialogue politique royalement ignorés par le Président de la République.

Troisièmement, le discours du Président de la République fait fi des vraies attentes des Ivoiriens. Quelques exemples pour illustrer mon propos. Sur le dialogue politique national qui piétine toujours après cinq rounds, on attendait un engagement fort du Président de la République, avec des gages précis, notamment sur les questions suivantes :

  • le retour accéléré des réfugiés et exilés des crises de 2010 à 2020 et leur réinsertion socio-économique ;
  • la nécessité de mettre fin aux entraves relativement au libre fonctionnement des partis politiques ;
  • le retour de messieurs Charles BLE GOUDE et Guillaume SORO ;
  • la mise en œuvre des libertés publiques, de la liberté de manifestation et de l’accès aux médias d’Etat ;
  • le non-respect des procédures spéciales en matière de poursuites pénales dansle cadre des poursuites initiées contre le Président Laurent GBAGBO, prévues par le statut d’ancien Président de la République ;
  • l’élargissement de l’ordonnance du 6 août 2018 portant amnistie aux personnes qui en avaient été exclues, notamment l’ex-Président Laurent GBAGBO, Charles Blé GOUDE et les Militaires ;
  • la libération des prisonniers politiques, civils et militaires des crises de 2010 et 2020 et le dégel des avoirs ;
  • l’arrêt des poursuites judiciaires contre les personnalités politiques suite aux crises liées aux élections locales de 2018 et à l’élection présidentielle de 2020 ;
  • la poursuite des discussions entre les Présidents Alassane OUATTARA, Henri Konan BEDIE et Laurent GBAGBO ;
  • la mise en place d’un système de justice et de réparation pour les victimes des violences politiques ;
  • l’organisation d’assises nationales pour la paix et la réconciliation ;
  • la revue de la carte nationale d’identité (coût, absence de filiation apparente, délais…) ;
  • la révision du code électoral et l’équilibre du découpage électoral ;
  • l’inscription automatique et le basculement des nouveaux majeurs sur la liste électorale ;
  • la limitation de l’âge des candidats à l’élection présidentielle ;
  • le parrainage et la définition des conditions de parrainage etc.

Sur la réduction du train de vie du gouvernement, on s’attendait à ce que le Président de la République pousse sa logique plus loin en supprimant les postes de ministres-gouverneurs qui sont non seulement budgétivores mais inutiles. Enfin, sur les questions de sécurité et de la vie chère, le discours du Président donne le sentiment que ses concitoyens et lui ne vivent pas les mêmes réalités. En ce qui concerne la sécurité, on sait tous que la menace djihadiste reste présente, pendant que la poudrière que représentent les sites d’orpaillages clandestins menace toujours d’exploser. En ce qui concerne la vie chère, sortir quelques membres du gouvernement ne peut pas constituer une riposte crédible.

Somme toute, le discours du Président de la République sur l’état de la Nation peut se résumer en la nomination sous forme de show hollywoodien du vice-Président de la République et la reconduction du Premier Ministre. Les Ivoiriens attendent toujours des mesures concrètes de leur Président sur les questions vitales de la Nation.

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KOUAME Yao Séraphin

Membre du Bureau politique, Délégué, Secrétaire exécutif

et vice-Président du Parti du PDCI-RDA ;

Député de la Nation et Maire de la Commune de Brobo ;

Chercheur en science politique.


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