France-Algérie: dans les coulisses du nouveau pacte, avec Le JDD
BILAN. La visite de trois jours d’Emmanuel Macron a été qualifiée par son homologue d’« exceptionnelle et réussie »
Le restaurant Blue Sky à Oran se trouve au 13e étage d’un hôtel à la façade en demi-cylindre. Il porte un joli nom, « Liberté », du nom du journal qui emploie l’écrivain et chroniqueur Kamel Daoud. C’est lui qui a choisi l’endroit pour y inviter Emmanuel Macron à dîner vendredi soir. La vue est panoramique sur la deuxième ville du pays et sur la mer, les fauteuils sont larges, et les amis de Daoud, une dizaine de personnalités de la scène intellectuelle dont il souhaite préserver l’anonymat, prêts à échanger avec le président français. De quoi parle-t-on ? Sans doute de la rigueur des temps qu’affronte la jeunesse des deux pays, de l’absence de confiance et d’audace qui rythme la relation franco-algérienne. « La France et l’Algérie sont capables de surmonter et d’assumer les déchirements du passé. Elles peuvent désormais fonder leur rapprochement, construire leur amitié sur une donnée nouvelle : la confiance. » Qui s’est montré aussi optimiste ? Macron ? Hollande ? Sarkozy ? Chirac ? Non, c’est François Mitterrand lors de sa première visite présidentielle à Alger en novembre 1981. Les interlocuteurs algériens d’Emmanuel Macron, à Oran comme dans la capitale, connaissent par cœur ces déclarations définitives qui rythment depuis quarante ans la relation entre les deux pays. Jamais tout à fait glaciale, rarement torride, mais le plus souvent tiède et pleine de pièges, de ressentiments et de procès d’intention.
Des heures de discussion
La Déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé entre la France et l’Algérie, signée hier après-midi à Alger par les présidents Tebboune et Macron, rappelle d’ailleurs dans son préambule des contrats d’engagements similaires passés en 2003 par Jacques Chirac et en 2012 par François Hollande. Sur quatre pages, les deux chefs d’État promettent de renforcer la coopération dans presque tous les domaines. Pour parvenir à ce nouveau pacte, il leur a fallu des heures de discussion. À table d’abord, jeudi soir lors du dîner offert par la partie algérienne au Palais du peuple. L’ancien palais ottoman, devenu résidence du gouverneur de l’Algérie française, est depuis l’indépendance le lieu des grandes cérémonies et festivités officielles. C’est là que fut exposée la dépouille de l’ancien président Ben Bella, dont le nom avait été rayé des livres d’histoire algériens jusqu’en 1980. Après les agapes, Emmanuel Macron s’embarque sur l’autoroute qui relie le centre-ville à la résidence présidentielle de Zeralda, à une vingtaine de kilomètres de distance. Là, en tête à tête, les deux hommes, en français, poursuivent leurs échanges jusqu’à 2 h 30 du matin.
L’ouverture des archives
Le rapprochement des positions était devenu tel qu’il fallait les sceller noir sur blanc. Et d’abord sur ce qui fâche. Ils conviennent ainsi d’établir « une commission conjointe d’historiens français et algériens chargée de travailler sur l’ensemble de leurs archives de la période coloniale et de la guerre d’indépendance ». Tebboune tenait au travail sur la colonisation, si cruelle, et Macron à l’ouverture des archives algériennes, qui documentent peut-être les heures sanglantes de la guerre menée par le FLN contre ses mouvements rivaux entre 1954 et 1962. Le Français Benjamin Stora dirigera l’équipe française, et il semblait hier acquis qu’il n’aurait pas pour alter ego le très conservateur Abdelmadjid Chikhi. Ce dernier était très hostile à certains de ses propres collègues algériens qui avaient adopté, selon lui, « l’approche du colonisateur ». La commission conjointe devra faire un rapport d’étape tous les six mois.
Le texte souligne aussi que le travail algérien sur l’entretien des cimetières européens devra être renforcé. Beaucoup a été fait depuis 2003, avec une somme de 4 millions d’euros investie par le Quai d’Orsay. Mais trop de sites funéraires, chrétiens et juifs, restent négligés ou profanés. Le cimetière Saint-Eugène au pied de Bab-el-Oued, dans la capitale, fait exception. Vendredi, c’est là que l’ancien conseiller de François Mitterrand Jacques Attali a tenu, très ému, à se rendre sur la tombe restaurée de ses grands-parents et à faire découvrir à Emmanuel Macron les stèles de la famille Mayer : trois frères juifs d’Algérie, fils d’un colonel d’artillerie, engagés dans l’armée française pendant la Grande Guerre et tous morts entre 1914 et 1918. Des tombes, comme si c’était tout ce qui restait « dans ce pays merveilleux qui n’a plus rien à voir avec ce que l’on a connu», nous confie Attali. C’est aussi pour cela que l’un des premiers gestes de l’ambassadeur François Gouyette – fin arabisant et dont l’épouse est algérienne –, en arrivant en poste en 2020, a été de se rendre à Tlemcen pour faire ouvrir le cimetière où repose depuis le XIVe siècle le rabbin Al-Naqawa, que les Juifs de tout le Maghreb venaient célébrer chaque printemps.
Les photos prises sur place que le diplomate a envoyées au grand rabbin de France, Haïm Korsia, ont bouleversé le religieux. Lui qui n’avait jamais réussi à se rendre en Algérie attendait tant de l’invitation que lui avait faite Emmanuel Macron. Empêché par la maladie, il s’est promis d’y aller dès que possible. « Pour être un pont entre les cultures et les religions, nous dit-il, pour recoudre du lien lorsque trop de tours nous enferment. » La déclaration conjointe franco- algérienne, dix ans après celle de 2012, ne parle pas de grands contrats économiques ni de grands travaux faramineux mais de mise en commun des savoirs scientifiques, culturels et même de production cinématographique. En espérant que le film de cette histoire « renouvelée » soit enfin en couleurs.
Le JDD (Le Journal Du Dimanche), DIMANCHE 28 AOÛT 2022 N°3946, France.
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