L’écrivain Sylvain Takoué à Alassane Ouattara: «Or donc, vous déteniez vraiment des prisonniers politiques!» (Lettre ouverte)
Monsieur le président,
Après avoir depuis longtemps clamé, à qui voulait l’entendre au monde, et souvent en vous énervant plus que de raison, votre parfaite innocence princière face aux suspicions légitimes et accusations portées contre vous, de détenir des prisonniers politiques dans vos geôles, vous en graciez enfin, par cet ultime acte présidentiel, plusieurs d’entre eux, qui vont voir la couleur du jour dehors, et humer l’air frais en pleine narine pour aérer leurs poumons noircis par l’ombre et la crasse du cachot.
Mais qui sont-ils exactement, nous interrogeons-nous, alors ? Et nous apprenons, selon un communiqué de la FIDHOP (Fondation internationale pour les Droits de l’Homme et la vie politique), publié le 23 février 2024, que ce sont « des détenus militaires et civils, qui avaient un rapport avec des évènements politiques du pays, dont notamment des proches de l’ex-Chef d’Etat Laurent Gbagbo et de l’ex-Premier ministre Guillaume Soro ».
Ce communiqué de la FIDHOP éclaircit, pour faire comprendre le statut de ces prisonniers, l’exacte situation qui a suscité cet acte de la grâce présidentielle, que vous leur avez accordée, et voici ce que dit le communiqué : « Depuis les assises de « la Phase 5 du Dialogue politique » inter-ivoirien, qui se sont tenues à Abidjan, du 16 décembre 2021, au 4 mars 2022, à l’initiative du président de la République de Côte d’Ivoire, plusieurs organisations de la société civile, dont la FIDHOP, et des leaders de l’opposition, n’ont de cesse de réclamer la libération de toutes les personnes, civiles comme militaires, ayant été arrêtées et emprisonnées consécutivement à des conflits politiques qu’a connus ce pays, en 2010 ou en 2020 ».
Ainsi, on ne sait trop pourquoi aujourd’hui, il vous a plu, Monsieur le président, de confirmer que vous déteniez effectivement des prisonniers politiques sous votre règne que vous avez voulu vernir d’angélisme. Leur statut de prisonniers politiques était pourtant connu depuis leur premier jour d’arrestation et d’emprisonnement, même si le leur reconnaître ainsi de facto aujourd’hui, bien que tardif, n’efface pas que vous avez toujours refusé de l’admettre, en jurant la main sur le cœur, comme un derviche pieux.
Nous sommes heureux que ces personnes que vous avez si longtemps privées de liberté humaine et sociale,en les incarcérant abusivement pour leur opinion politique, toute différente de la vôtre, regagnent enfin leurs familles et parents.Au nom du RURÉN-CI, mouvement politique qui entend conduire, contrairement à votre régime, la Côte d’Ivoire à sa pleine souveraineté étatique, nous souhaitons à ces Ivoiriens meurtris par votre caractère irascible et politiquement irraisonnable,la bienvenue chez eux, là où un homme libre a sa place, auprès des siens.
Monsieur le président,
Le grand écrivain français Victor Hugo, dont vous avez certainement entendu parler (puisque vous êtes un haut diplômé d’université), qui avait fui l’emprisonnement dont le menaçait Napoléon III, pour ses idées politiques progressistes, et qui fut proscrit de la France, pendant 19 ans, au 19ème siècle, a écrit ceci dans son immense livre d’épopée, La Légende des Siècles : « Oh ! n’exilons personne ! Oh ! l’exil est impie ! ». Nous voudrions le paraphraser et dire, de même : Oh ! n’emprisonnons personne ! Oh ! l’emprisonnement est inhumain !
Mais vous ne comprendriez pas, vous, cet appel de la raison humaine, qui serait hors de portée pour vous. Ce Victor Hugo, qui lançait cet appel universel, était un intellectuel affirmé, un homme d’esprit éclairé, qui savait que même un paysan a le droit de penser différemment d’un prince régnant.Oui, et j’y insiste, Victor Hugo était un intellectuel, mais vous ne l’êtes pas, vous, Monsieur le président. Ce que vous êtes au-dedans de vous-même est un paradoxe frappant, car vous vous comportez comme un tigre qui n’aime pas les mouches, alors que c’est la forte odeur de la chair vive des gibiers qu’il broie sous ses crocs, qui les attire à lui.
La politique, vous ne le savez peut-être pas, n’est pas l’art de vaincre mais de convaincre. Vaincre, est le mode de la guerre, tandis queconvaincre, est celui de la raison pensée.Vous préférez, quant à vous, l’épée à l’idée, et surtout la colère à la raison. La colère vous domine, et vous dominez le pays par la colère. Ce n’est ainsi qu’on gouverne un pays, ce n’est pas ainsi qu’on mène un peuple. Votre mode de règne, qui n’aime que châtier les plus faibles du pays, rappelle celui de Saül ou encore d’Hérode. Votre plus grande erreur politique est d’avoir toujours été un faiseur de torts, alors que le pays en voulait un redresseur, qui soit simplement un bienfaiteur, un altruiste, un humaniste, un être humain.
Que gagniez-vous à emprisonner longtemps des hommes vaincus par vous – et vous savez de quelle façon hussarde cela fut ! –, arrachés à leur liberté d’être,et qui avaient le droit de vivre librement leurs opinions politiques, comme vous vivez tranquillement la vôtre qui, sachez-le bien, est la pire opinion politique qui soit ? Avez-vous une sonde miraculeuse, qui puisse vous permettre de savoir ce que tout le mondeà la fois pense de vous, y compris les gens même de votre propre régime politique ?Pensez-vous vraiment que gouverner le pays en emprisonnant des citoyens opposés à votre régime politique, vous ferait tant aimer de tous, à l’unanimité, simplement par peur d’être aussi emprisonnés comme ceux que vous venez de libérer ?Pensez-vous que le peuple de Côte d’Ivoire, bien que continuellement prostré dans un exil intérieur, ne ferait que vivre éternellement dans la crainte d’un prince-geôlier, qui se fait justicier par lui-même, lui ce justiciable ?
Monsieur le président,
Ne vous leurrez pas, vous n’êtes pas un libérateur de peuple, comme vos foules hystériques et ivres de votre gloire du commandement l’ont cru, ou vous le font croire, mais tout simplement un parfait geôlier.Plus que cette prison d’Abidjan, qui incarcérait ces pauvres prisonniers politiques que vous venez de libérer, comme bon vous a plu de le faire pour qu’on vous acclame aux quatre coins du pays, la Côte d’Ivoire est en réalité, sous votre règne étouffant et suffocant, une vaste détention politique, où les Ivoiriens paieront bientôt même l’air qu’ils respirent encore. Les Ivoiriensd’en bas vivent dans ce pays, comme des captifs résignés d’un autre temps, qui n’y ont droit qu’à battre seulement des paupières.
Vous avez tant pris plaisir à faire la pluie et le beau temps, à décider seul du sort de chacun et de tous, à faire un simple signe du doigt pour voir jetés arbitrairement de pauvres gens en prison, et attendre d’eux qu’ils vous supplient longtemps à genoux, de les gracier, que les libérer simplement aujourd’hui, ferait de vousun prince clément, magnanime, débonnaire, bon.
Non, il est bien trop tard, pour vous, d’espérer qu’on vous prenne pour tel. Vous n’êtes pas un prince clément, ni magnanime, ni débonnaire, ni bon. Le moment venu, souvenez-vous seulement de cette phrase désormais mémorable et prémonitoire de Laurent Gbagbo : « On peut aussi quitter la présidence pour la prison ».
Écrivain ivoirien en exil,
Leader du RURÉN-CI
(Rupture et Renouveau en Côte d’Ivoire).
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